Se marier à Plouguerneau dans la seconde moitiè du XVIIIeme siècle


SE MARIER A PLOUGUERNEAU DANS LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE (1747-1790)

Si les conditions dans lesquelles se réalisent les mariages sont connues de nos jours, celles de la fin de l’Ancien Régime sont oubliées dans la mémoire collective. Se marier actuellement impose obligatoirement le passage devant le maire et éventuellement devant un ecclésiastique, tandis qu’au XVIIIe siècle, avant la Révolution, seul compte, et existe, le mariage religieux acte civil et cérémonie religieuse. Celui-ci déclenche un processus qui témoigne de l’attention toute particulière que chacun porte à la création d’un nouveau foyer. Certains paramètres sont impératifs, en particulier les contraintes du milieu social et familial.

De même, les formalités peuvent s’avérer parfois pesantes. Mais le jour du mariage le sérieux de la cérémonie n’exclut en aucun cas la volonté de la communauté familiale et villageoise de s’amuser selon certains rites et coutumes propres au monde rural et au pays léonard.

A) L’ÉVOLUTION DES MARIAGES DANS LE TEMPS

A Tréménac’h, de 1747 à 1790 le total des mariages est de 113 soit une moyenne de 2,56 par an. Ces chiffres sont sujet à caution car certaines années aucun mariage n’est célébré. La variation du nombre des épousailles peut aller de 0 à 10 ! Le recteur en exercice s’est sans doute montré négligent dans l’enregistrement mais la faiblesse de la population de la paroisse fournit l’autre élément d’explication. Aucune évolution notable n’a été décelée, les effectifs étant trop réduits.

A Plouguerneau au contraire le montant est conséquent : 1101, et les résultats plus probants.
Pour 37 années utilisables la moyenne s’établit à 29,7 mariages par an.

De 1747 à 1756 : 32,4
De 1757 à 1767 : 28,1
De 1771 à 1780 : 30,8
Pour la dernière décennie (1781 – 90) : 27,4.
Les taux de nuptialité pour les mêmes périodes sont de 8,8; 7,1; 7,8; 6,8 0/00.
La situation de départ est plus favorable, puis une certaine dégradation se produit suivie d’un redressement avant la rechute des années 80.
P. Tanguy a également notée cette médiocre tenue des mariages à Lesneven.
A la même époque, les taux de nuptialité en France se maintiennent au-dessus de ceux de la paroisse de Plouguerneau (9,3 0/00 en 1740-44; 8,6 0/00 en 1785-89).

Les épidémies meurtrières et une conjoncture économique moins favorable expliquent que les mariages descendent à sept entreprises sous la moyenne du demi-siècle de 1781 à 1790 ! Certains historiens ont expliqué, en partie, la Révolution française, par une dégradation de la situation économique qui freine les possibilités d’établissement de jeunes aspirant au mariage et aurait déclenché ainsi un mécontentement latent.

B) LE CHOIX DU CONJOINT

1. L’influence du milieu social

Il se révèle déterminant car le mariage correspond d’avantage à une affaire d’intérêts que de sentiments et l’objectif premier est de maintenir et si possible d’accroître le patrimoine ancestral de génération en génération.
Dans les actes de mariages de Plouguerneau comme de Tréménac’h les références au statut social sont rares (sauf pour les catégories les plus huppées). Heureusement les actes de baptêmes et de décès apportent un certain complément d’information.

Il est clair que les nobles se marient entre eux :

– Messire écuyer Louis-Marie-Raymond de Poulpiquet de Brescanvel épouse Dle Marie-P. Denys fille de M-M-J de Kervern en mai 1755.
– De même J-P-M. Gilard de Kéranflech lieutenant de vaisseau de la Compagnie des Indes se marie à C-F-R. dame de Poulpiquet.

Dans l’ordre du tiers état* la situation est identique. Les notaires royaux et procureurs fiscaux convolent en justes noces avec des femmes, qualifiées de demoiselles, de leur rang social. La présence de témoins de qualité, nobles hommes, honorables hommes, honorables gens, sieurs, messires, maîtres, d’aristocrates également, nombreux, et sachant signer en tant que témoins ne laisse aucun doute sur un milieu socialement élevé et cultivé, qui cherche à donner un certain éclat à la cérémonie. L’ecclésiastique, lui-même, en rédigeant l’acte montre à sa manière la considération qu’il témoigne aux époux en soignant l’acte et en utilisant sans retenue le papier mis à sa disposition. Ces notables cumulaient d’autres fonctions comme F. Cabon décédé en 1779, qui est lieutenant de la milice* gardes-côtes du bataillon de Lesneven. On les retrouve dans la gestion de la paroisse dans le cadre de la fabrique*. Leur honorabilité en fait des parrains recherchés. F. Leroux est sieur, honorable homme, il épouse M-A. Bramouillé, dont il aura au moins six enfants. Il est titré maire en septembre 1784, syndic * en août 1786.

De même, dans le personnel administratif lié à la monarchie, les Fermes * du roi par exemple, on recherche des femmes de conditions similaires :
Sieur J. F.. Colin (décédé en 1781) avait pour épouse Dle M-F. Faucont Dumont dont le père est « employé au tabac de ce bourg ».
Sieur J. Quéré, sous-brigadier de Kérizoc, quant à lui était marié à Dle L. Levilain de Lanrivan.

Mais si les nobles et notables peuvent être identifiés dans certains actes des B. M. S. (Baptêmes, Mariages, Sépultures) et s’unissaient entre eux, qu’en est-il de la majorité des Plouguernéens du tiers état ?

Les rédacteurs des actes se montrent peu disposés à évoquer leur condition sociale. Sur plus de 12000 actes de B.M.S. consultés, au détour de certains, nous découvrons ça et là, mais exceptionnellement un laboureur, un maître de barque, des marins, des journaliers ou des valets domestiques. L’absence d’indications particulières laisse supposer des mariages entre catégories sociales équivalentes.

Existait-il des exceptions à ces unions d’intérêt ? C’est probable. Sieur H-C-M. de Villguoyomar Lerron, dont un frère est prêtre, se marie à Marie R. Berthou, une riche héritière ? Dle M-A-G.. Quefrondelaval la Salle s’unit à la J-L. Cervel : s’agit-il d’une cadette désargentée que l’on pousse dans les bras d’un personnage fortuné ?

Ainsi la première contrainte qui détermine le choix du conjoint est l’appartenance à sa classe sociale : c’est la règle d’homogamie*. On se marie entre individus du même milieu social. Le mariage convenable veut des époux de même qualité et de même condition.

2. La part de l’amour

Dans la formation du couple l’emprise du milieu social est inévitable au XVIIIe siècle et Cambry, évoquant le pays Pagan et le secteur de Pontusval, qualifie le mariage « d’accord sans amitié, sans confiance et sans l’amour ». Pourtant on ne peut exclure la part de l’amour. Louis Elégouët note certains proverbes bretons qui relatent ce sentiment :

Kalon eur wreg’ zo eun delenn
Hag a son kaer pa gar eun den
« Le coeur d’une femme est une harpe
Qui joue merveilleusement quand elle aime un homme. »
Aour melen’ vez ranned
Ar garantez ne vez ked
« On partage l’or, pas l’amour. »
Gwel eo karantez leiz an dourn
Eget danvez leiz ar vourn.
« Mieux vaut de l’amour plein la main,
Plutôt que des biens plein le four »

D’ailleurs les garçons et les filles ne manquent pas d’occasions pour déclarer leur flamme : fêtes, foires, pardons. Plouguerneau, selon Ogée, compte cinq pardons : le samedi de Pâques*, celui de Pentecôte, celui qui précède le dernier dimanche de juillet, le 31 octobre et le 24 décembre. Les foires des environs sont courues également : on se rend à Lannilis et même à Lesneven le lundi. Aux pardons, le galant remet à la jeune femme quelques fruits : pommes, poires, châtaignes… Les regards se font complices les mains se rencontrent, on échange quelques propos souvent sans importance mais le contact est établi. Les veillées constituent également des moments privilégiés pour les premières approches amoureuses.

La veillée

 

Pour clore ce chapitre sentimental qui met en relief la part de l’amour, on peut également rappeler avec Cambry la pratique de certains rites. L’usage du mai, dans la région de Lesneven, traditionnellement correspond à la plantation d’un arbre couvert de fleurs et de verdure, « une couronne était placée sur la porte de celle que l’on aimait et on lui destinait un bouquet d’une composition ingénieuse ».
Yann Brékilien souligne le fait que certains garçons accrochent la nuit qui précède le premier mai une branche d’aubépine à la porte de celle pour qui bat leur coeur. Mais si la cruelle repousse les avances du soupirant le chou-fleur remplace l’aubépine !

3. L’emprise du milieu familial

Dans la majorité des cas les mariages sont arrangés par les familles. En principe les jeunes peuvent accepter ou refuser. L’Église d’ailleurs attache de l’importance à cette liberté des mariages car elle veut que le contrat matrimonial lie perpétuellement les conjoints, que la mort des parents qui ont fait le mariage n’entraîne pas la dissolution. De plus, c’est pour éviter que les jeunes gens désireux d’embrasser la profession ecclésiastique ne soient malgré eux engagés dans la vie conjugale et restreignent le recrutement des religieux. Dans le Léon, véritable « terre des prêtres » cet argument a pu jouer dans la formation des couples. A Plouguerneau recruter du personnel religieux ne semble guère poser problème. Dans les registres des sépultures nous avons recensé plus de 30 religieuses (soeurs du Tiers ordre de St François, du Tiers ordre de St Dominique, du Tiers ordre des Carmes) souvent originaires de la paroisse. Les prêtres à Plouguerneau sont nombreux : de 1747 à 1790 Pérennes signale la présence d’une vingtaine de religieux. Ce chiffre nous parait même sous-évalué. On peut tabler sur cinq à six prêtres en permanence sous la direction d’un recteur : An Aotrou Person. Cette vocation sacerdotale se confirme par la suite. Yves Le Gallo fournit le chiffre impressionnant de cent ordinations de Plouguernéens de 1803 à 1964.

Cependant, les parents pèsent de tout leur poids dans le choix du conjoint de leur fille ou fils et la législation en vigueur conforte leur autorité. Pas de mariage possible sans le consentement des parents. Ils peuvent l’interdire avant 25 ans pour les filles et 30 ans pour les garçons (âge de la majorité matrimoniale), en refusant leur aval à des jeunes gens considérés comme mineurs. Dans le cas de mineurs orphelins, ce qui est fréquent, l’autorisation émane du conseil de famille. La justice prend ensuite le relais en accordant des dispenses. En ce qui concerne Plouguerneau et Tréménac’h, les juridictions de Coatquenan, de Carmant, du Châtel à Lannilis les délivraient.

A Plouguerneau 20% des mariages impliquent au moins un mineur et sur ce total dans environ deux cas sur trois l’homme est majeur et la femme mineure. A Tréménac’h le total est de 31% pour une période, 1781-90, plus courte et un échantillon plus réduit donc plus contestable.

De ces chiffres plusieurs remarques s’imposent : dans 80 % des mariages, au moins un des époux avait plus de 25 ans. On se marie donc à un âge élevé. La légende des mariages précoces, sans pour autant nier leur existence, est ainsi démentie. De plus, la femme est plus jeune que son futur époux.
Les mariages où les deux fiancés sont mineurs atteignent 12%. Les Plouguernéens sont majoritairement des gens âgés lorsqu’ils se présentent devant Monsieur le Curé.

Si malgré tout un mineur décide de se marier sans l’autorisation parentale et sans le fameux décret de dispense il s’expose à des sanctions qui peuvent rebuter bien des récalcitrants : l’exhérédation *, théoriquement la peine de mort car le pouvoir royal assimile à un rapt le fait d’épouser un mineur sans le consentement des parents.

La majorité atteinte, garçons et filles se marient en théorie selon leur fantaisie. Mais en général ils sollicitent l’avis des parents et en cas de refus peuvent passer outre après « sommations respectueuses ». Le 15 mai 1753 le dit « J. Jacqueline originaire de la paroisse de St Sévère, évêché de Normandie, habitué depuis quelques années à Guissény » s’unit à Mie Corolleur fille mineure, « vu l’acte de sommation respectueuse faite par le dit Jacqueline à la dite Vaudry, sa mère ».

Emprise du milieu social, emprise du milieu familial, les deux milieux étant liés, ne laissent guère de place à l’amour. Mais pourquoi un tel contrôle ? Le mariage met en jeu les intérêts fondamentaux de la famille et le père en tant que chef de famille se doit d’en assurer la responsabilité. Chaque famille désire conserver ou tout au moins ne pas amputer son patrimoine et si possible l’accroître, quel que soit son rang social, en évitant les mésalliances et en essayant, au contraire de s’allier à des familles plus honorables qu’elles-mêmes.

L’installation des jeunes pose le douloureux problème de la dot, ar goulou, ou du douaire * d’autant plus difficile à réunir quand les enfants sont nombreux.
Pour J. L. Flandrin « ce problème était une des croix du père de famille ».
Et comment ne pas citer avec plaisir ce contemporain qui en 1840 évoque l’intérêt du mariage pour le paysan breton : « le paysan devient amoureux pour tout de bon, c’est-à-dire pour se marier ; un champ, un pré, une vache de plus ou de moins dans la balance, voilà qui suffit pour le séduire. Le plus gros fumier lui porte au coeur et s’il a la perspective de pouvoir élever un cochon de plus chaque année il se fixe sans retour ». Cette situation se retrouve certainement à Plouguerneau.

4. Le rôle du Bazvalanl

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Dans le Bas-Léon, la tradition veut que le père du jeune homme charge le Bazvalan de se rendre chez les parents de la jeune fille. Il s’agit d’un intermédiaire qui est au courant de la situation de fortune des uns et des autres et a la langue bien pendue pour plaider avec éloquence la cause qui lui est confiée.

Cambry évoque « les tailleurs, espèces d’hommes méprisés mais introduits partout, sont ici les entremetteurs de presque tous les mariages ». Meuniers, cabaretiers, mendiants tiennent également ce rôle : décrits laids, disgracieux, porteurs de guigne, ils sont rusés et éloquents. A Plouguerneau ils existent aux XIXe et XXe siècles. J. Simier signale une cuisinière, G. Kou, réputée dans cette fonction et dans la préparation des repas de noces. Ils jouent le rôle de conseillers sur les mérites de la femme, sur les biens, la dot, les chances de succès. Agent matrimonial, il négocie et présente la demande, même si l’accord est tacite, aux parents de la jeune fille. Son accoutrement lui permet d’être reconnu aisément : un bas blanc, un rouge, une baguette de genêt (ou Bazbalan). Il reçoit le refus ou l’accord de manière détournée et symbolique : on lui sert une simple bouillie frite dans le premier cas et un bon repas avec du vin dans le second. Ensuite on cause, on parle de la dot et autres conditions. Muni de ces renseignements le Bazvalan retourne chez le père.

C) LES FORMALITES

1. Les visites mutuelles : le Gweladen

Les visites mutuelles ar gweladen

 

Si les deux parties s’accordent, en France on parle d’accordailles, le Bazvalan met sur pied les visites mutuelles ou ar gweladen. Le futur avec quelques parents, à cheval, et en demi-parure, se rend chez la prétendue ; on visite toute la maison, armoires ouvertes, les étables, les champs.

Un contrat peut être établi dans une auberge du bourg. On fixe la dot et les dons, de part et d’autre, parfois devant notaire. Il faut régler les problèmes matériels du couple. Pour Cambry  » les conditions se font sous seings privés et plus communément devant témoins ; ils intéressent leurs enfants d’un quart, d’un tiers dans leurs ménages ; quelques riches qu’ils soient, ils ne cèdent jamais leurs terres ; ils sont très difficiles sur la pureté des familles qui leur proposent une alliance « . Les futurs époux savent ainsi ce qu’ils auront à leur entrée en ménage. Mais beaucoup rechignent au recours à un notaire car il coûte cher. Plus le patrimoine est conséquent, plus l’existence du contrat se comprend.

2. Les fiançailles

Les fiançailles, après avoir été célébrées aux XVIe et XVIIe siècles à la taverne, au grand dam de l’église, font parties intégrantes des étapes de l’alliance : il s’agit là d’une cérémonie religieuse. La « donne des noms » consiste à se rendre à l’église et à donner au recteur noms et prénoms, puis ce dernier les interroge sur leur catéchisme. Ensuite, une messe est célébrée. Les prêtres de Plouguerneau inscrivent cet instant solennel sous diverses formes : « j’ai fiancé », ‘j’ai pris promesses de mariage » en « face d’Eglise ». Le plus souvent il en est fait mention dans la partie introductive de l’acte de mariage. En tant qu’acte isolé, leur trace est épisodique sur les registres des mariages : moins de deux cents à Plouguerneau de 1747 à 1790 ; une dizaine à Tréménac’h de 1781 à 1790. L’enregistrement est cependant meilleur à Plouguerneau avant la Révolution.
Ce manque de références est, selon Monsieur Leprohon, dû au caractère contraignant des fiançailles qui en cas d’annulation nécessitent une autorisation épiscopale, voire un procès auprès de l’officialité *.

La cérémonie perd sa signification et se rapproche de la date du mariage. Aussi n’est-elle plus toujours mentionnée. La solennité de cet engagement est cependant comprise par tous et sa rupture est jugée sévèrement. Un proverbe breton dit : « Il n’y a de fiançailles qu’une fois ; celui qui se fiance à deux, à trois va brûler en enfer ; celui qui se fiance à trois, à quatre le diable l’emporte à tout jamais ».

Les fiançailles peuvent donner lieu à un repas spécial pour la circonstance, le frikot dimezi. En 1923, J. Simier participe à son « Valaden Vras » ou dîner de fiançailles.

A Plouguerneau comme à Tréménac’h, on se fiance en janvier (20 %) en mai – juin (26 %) et en octobre – novembre (10 %). Comme le délai entre fiançailles et mariage est court et comme il faut tenir compte de certains impératifs, ces moments de l’année ne peuvent surprendre : on se fiance en janvier pour se marier en février avant l’interdit de Carême*. Mai et juin permettent les mariages en juillet avant la moisson. Quant à la fin de l’année, l’interdit de l’Avent* entraîne fiançailles et mariages avant Noël.

3. La publication des bans*

Les fiançailles expédiées, voire bâclées, l’étape suivante est la publication des bans. Ils sont publiés, en théorie, à l’issue du prône des grands-messes les trois dimanches avant la cérémonie du mariage, dans les églises paroissiales des deux fiancés et dans la paroisse de résidence, si on y est « habitué depuis temps compétent », pour assurer la publicité de l’union.

Celle-ci est destinée à déjouer la bigamie, crime majeur et permet de célébrer le mariage « sans opposition ni connaissance d’empêchement ». Dans les registres, les bans sont notés à l’unité, par deux ou par trois. Le recteur de la paroisse d’origine fournit des licences de mariages, sous formes de certificats de publications ou de proclamations de mariages, à leurs ouailles expatriées hors de celle-ci : Sieur François-Corentin Billard de Riec, du diocèse de Quimper, épouse Renée Le Sellin, paroisse de Niron (du même diocèse) ; les recteurs des paroisses respectives donnent leur accord par écrit. Le tout est légalisé par le grand vicaire de Quimper. Les bans furent publiés le 23 février, le 2 mars, le 27 avril et le mariage célébré le 7 mai 1783 à Tréménac’h.

En fait les trois bans ne sont pas toujours publiés. La dispense porte sur un ou deux bans : Messire L-R. de Poulpiquet de Brescanvel en épousant Dle M-P-C. Denys en mai 1755, tout comme J-P-M. de Kéranflech Gilart qui se marie à Dle C-F. de Poulpiquet en juillet 1754 sont dispensés «des deux autres bans». Ces dispenses, payantes, sont le plus souvent le fait de la noblesse.

Elles se justifient par l’approche de périodes d’interdit, Carême ou Avent, pour réaliser rapidement l’union après des relations coupables engendrant une grossesse ou pour éviter en cas de remariage une grande publicité et ainsi échapper aux charivaris* traditionnels.

L’intervalle des trois dimanches n’est pas toujours respecté : François Le Vourch, se fiance à Plouguerneau, le 30 août 1788, à Marie-F. Bernicot ; les bans sont publiés le 31 août, un dimanche, les 7 et 8 septembre, un dimanche et un lundi. Le mariage est célébré le 23 septembre 1788.

Le respect des trois dimanches est pourtant majoritaire, dans 75 % des cas, à Plouguerneau et à Tréménac’h.

A noter deux cas, rares, d’opposition de bans : le 16 mai 1785 Marie J. Ledall, accompagnée de sa mère, s’oppose à leur publication, tout comme Marie J. Roudaut pour le troisième ban. Les motifs ne sont pas précisés.

Quel est le délai entre la publication des bans et le mariage ?

En général, il est court : à Tréménac’h dans trois cas sur quatre les bans publiés, on se marie avant un mois ; à Plouguerneau 67 % des mariages se déroulent dans ce même laps de temps.

Ce délai légal des trois dimanches doit permettre d’éventuelles oppositions pour bigamie ou pour liens de parenté trop proches.

4. Les situations d’empêchement pour consanguinité ou pour affinité

Dans ce cas l’Eglise analyse les situations d’empêchement pour consanguinité ou par affinité et peut accorder des dispenses.
L’Eglise interdit l’union entre parents jusqu’au 4e degré, c’est à dire entre petits enfants de cousins germains. C’est dans cette situation que se trouve cette «veuve qui, en 1749, âgée de 36 ans n’a pas été cherchée en mariage par aucun étranger depuis qu’elle a perdu son mari depuis 8 ans et n’a vécu que 7 mois avec lui». Elle relève ainsi des «causes honnêtes» ce qui lui vaut une dispense pour épouser un de ses parents «au 3e ou 4e degré» !

A Plougerneau, ce type de dispense est le plus fréquent (au 1/4 – 1/4). Certains cas au 3e ou au 2e degré ont également été notés. J-P. Legot obtient une dispense en novembre 1762 pour épouser Marie-Françoise Legot : ils sont parents au 2e degré, c’est à dire cousins germains.

L’Eglise cherche par là à mieux contrôler le couple et la famille. Par la définition très extensive du droit de parenté, elle semble imposer en quelque sorte un cadre rigide caractéristique d’un climat de méfiance à l’égard de la sexualité. Elle évite la facilité de mariages trop rapides et impose des choix hors des cercles parentaux trop rapprochés.

La parenté peut être spirituelle (elle est contractée dans la cérémonie du baptême) : le parrain et la marraine sont dès lors unis à leur filleul, à son père, à sa mère. Tous les membres de ce groupe sont de parenté spirituelle et ne peuvent prétendre au mariage sauf dispenses. Elles sont également obligatoires pour l’affinité spirituelle : si l’un des futurs est veuf d’un parent consanguin de l’autre (un veuf voulant épouser sa belle-soeur veuve par exemple).

Au total à Plougerneau les dispenses ne concernent que 1,6 % des mariages. Elles restent exceptionnelles et s’alignent sur les chiffres de Monsieur Le Prohon, de 0,2 à 1,2 % selon les paroisses.

La faiblesse des chiffres peut être liée à plusieurs facteurs :

– l’enregistrement des dispenses a pu être négligé par les prêtres
– la population de Plougerneau – Tréménac’h est conséquente (4 400 habitants) ce qui facilite le recrutement des jeunes en âge de se marier, à l’inverse des îles bretonnes comme Ouessant où selon Monseigneur de la Marche, évêque du diocèse du Léon, « tous les îliens sont parents»
– l’emprise d’un clergé omniprésent à Plouguerneau et des paroissiens respectueux du droit canonique
– la position particulière de Plouguerneau – Tréménac’h, sur le littoral léonard en fait une zone entrouverte sur le «monde extérieur» : Le port du Corréjou, selon Cambry, peut recevoir jusqu’à «Trente bâtiments caboteurs» déversant « sel, vin, ardoises, charbons de terre, huile et savon». Maîtres de barque, matelots, personnel des Fermes du roi se côtoient et élargissent les possibilités de mariages pour les jeunes filles.

Les dispenses pour consanguinité sont, en théorie, délivrées par le pape : mais l’indigence de certains («ils sont pauvres» en 1749 ; «ils ne peuvent engager de frais à Rome») et les nécessités d’une procédure moins onéreuse et plus rapide déterminent l’évêque de Léon ou son vicaire général* à accorder ces dispenses.
Elles sont payantes : «9 livres payables au registre des insinuations ecclésiastiques de Léon et au contrôle ecclésiastique de Léon à Léon».

Si l’Eglise fournit ces dispenses c’est, outre les motifs personnels des intéressés, qu’elle préserve ainsi la règle d’homogamie car les prétendants doivent être de même condition sociale, plus aisée à trouver dans les rangs familiaux de niveaux équivalents.

Ces dispenses peuvent s’accompagner de contraintes, qui aujourd’hui feraient sourire, et qui témoignent de l’emprise du clergé sur les jeunes, celui-ci voulant éviter des relations coupables avant mariage : «Marie-Françoise Legot et Jean-Philippe Legot doivent pour pénitence, veiller dévotement tous les jours pendant un an (!), les actes de vertu théoloyale, de foy, d’espérance, de charité, de continuer de vivre séparément jusqu’au jour de la bénédiction nuptiale».
Pour en finir avec la partie «administrative» incombant aux futurs mariés, il nous a semblé intéressant de signaler le cas de cette veuve, Elisabeth Queffurus, désirant se remarier avec Yves-Marguerite Bosseur de Guissény en novembre 1784. Son mari, Jacques Pronost, soldat de la marine sur la frégate la Fourvoyeuse, est «tué au combat de Pondichéry le 10 août 1778». Elle écrit au Commissaire des ports et arsenaux de Rochefort qui certifie l’authenticité du décès du nommé Jacques Pronus !

Cette erreur de transcription complique les affaires de la veuve. Monseigneur de la Marche, évêque de Léon, intervient et comme il connaît personnellement le commissaire J-C. Redon de Beaupréau de Rochefort, il se porte garant, pour lui, de l’identité de Jacques Pronost. Rien ne s’oppose plus au mariage, célébré le 23 novembre 1784.

L’ensemble des étapes qui conduit au mariage est long parfois de plusieurs années pour un premier «établissement» : les frais sont importants, le repas de mariage coûteux. Mais une fois le choix du conjoint effectué, la partie administrative réglée, le mariage aboutit rapidement : à Plouguerneau il a lieu moins d’un mois après la publication du dernier ban, dans 67 % des cas.
Le temps compte pour des fiancés habitués à côtoyer la mort, à voir de nombreux couples rompus prématurément et désireux de profiter, enfin, des bienfaits du mariage sur le plan sexuel.

D) LA NOCE

1. Avant le mariage à l’église

Règle homogamique respectée, accord des parents fourni, formalités accomplies, la date du mariage est imminente.

Les deux promis et la mère de la jeune fille se rendent à la ville voisine pour acheter l’anneau, ordinairement surmonté de deux coeurs unis (on achète le licol ou prena arc’habest) ainsi que la ceinture de ruban de la mariée et divers objets de toilette. Autre achat important, celui du vin : une barrique pour cent convives. Huit jours avant le mariage on fait les invitations. Elles comprennent tous les habitants de chaque maison : parents, enfants et domestiques, on les invite à  » mettre la clef sous la porte ». La porte fermée on place la clef à l’intérieur par le trou au chat pratiqué dans le bas. Le jour du mariage, le futur, accompagné d’une grande partie de la famille, vient chercher la mariée. Il trouve la porte fermée. Deux bardes qui tiennent chacun à la main une canne noire à pomme d’ivoire et ornée de rubans, entament, l’un dehors, le Bazvalan, l’autre, le Brutaer, à l’intérieur, un dialogue mi-sérieux mi-plaisant. Le premier fait la demande ainsi que l’éloge du futur ; l’autre, celui de la jeune fille, rejette la demande. Véritables joutes poétiques, « le rite de la fiancée cachée » se termine, selon Cambry, parfois très mal et dégénère au point d’en venir aux mains. Enfin le Bazvalan sort un argument décisif : « Mar d’éo-gwerc’h, roït-hi ! Mar ne d’eo ket, mirit-hi ! » (« si elle est vierge, donnez-là ! si elle ne l’est pas, gardez-la »!). Alors la porte s’ouvre et, on présente d’abord au premier barde une femme âgée. Il proteste et parle des charmes de la future. On amène ensuite une fillette : nouvelles protestations. Enfin, la jeune fille se dévoile et il prend des mains du fiancé la ceinture achetée en même temps que l’anneau et la passe autour de la taille de la future.

La noce se dirige alors vers l’église : certains vont à cheval et il est fréquent qu’il se livrent, malgré les interdictions du Parlement* de Rennes, à de véritables courses de chevaux plus ou moins périlleuses. Le cortège à pied est parfois arrêté par les cordes fleuries ou des ronces tendues en travers du chemin. Elles sont tenues par des pauvres ou par des enfants et ne s’abaissent que lorsque le nouveau marié et le garçon d’honneur ont versé la « dîme du bonheur » ou « droit de passage ».

A l’arrivée au bourg les chevaux sont attachés aux anneaux des auberges et le cortège, ordonné par les jeunes gens du service d’ordre, le plus délicat consistant à apparier cavaliers et cavalières, se forme pour se rendre à l’église au son du biniou. Le Gonidec au début du XIXe siècle utilise le terme de cornemuse à musette. Un seul sonneur dirige le cortège de noce.

2. A l’église

Mariage à l’église

 

La cérémonie se déroule « en face d’église » « devant l’église » à Plouguerneau, dans la « chapelle » ou « l’église » au Grouanec et dans « l’église paroissiale » à Tréménac’h. Dans la majorité des cas il s’agit de la paroisse d’origine de la fiancée.

Les portes de l’édifice religieux doivent rester ouvertes, faute de quoi le mariage peut être frappé de nullité car « il s’agit d’un engagement public qui ne peut être pris à huit clos ». D’ailleurs autrefois, la cérémonie n’avait pas lieu à l’église mais à la porte de celle-ci.

Les prêtres de Plouguerneau et de Tréménac’h nous fournissent, dans les actes de mariages, toute une séries d’indications se révélant précieuses pour suivre le comportement de nos paroissiens et dresser leur état matrimonial : qualités de veuf ou veuve, mineur ou mineure (avec des formules inattendues « veuve majeure »), prénom du père, nom de jeune fille de la mère, prénom du père, nom de jeune fille de la mère, prénoms et nom de chacun des fiancés, origine géographique de ces derniers et enfin si les parents sont décédés (« feu, feue, feux »).

Par contre ni l’âge au mariage ni la profession des conjoints ne sont indiqués. Les formules suivantes sont tout à fait exceptionnelles : « Y. Hellouet âgé d’environ 22 ans » épouse « Mie Bernes âgée d’environ 16 ans » (août 1752) ; « G. Le Dall laboureur âgé de 27 ans veuf de M. Abiven de la paroisse de Kernilis » épouse « Marie Lenezou âgée de 38 ans fille de feu guillaume et de Marie Landuré, laboureurs de cette paroisse ».

a) Les conjoints

– l’âge au mariage.

Confronté à l’absence d’informations, il a fallu utiliser la méthode de reconstitution des familles pour rechercher l’âge au mariage. A Plouguerneau un homme se marie à 28 ans et 9 mois et une femme à 25 ans et 3 ans. En France les âges respectifs en 1789, sont 28 ans et 5 mois et 26 ans et 5 mois.
Au début du XIXe siècle (1802-1805) l’homme se marie à Plouguerneau à 30 ans et 8 mois et la femme à 26 ans et 8 mois.
Les Plouguernéens se marient donc à des âges élevés et la tendance est à l’élévation de cet âge. Leur comportement est peu diffèrent de leurs concitoyens français à la même époque. Les mariages pubertaires ne sont pas inconnus pour autant : C. Landuré âgé de 15 ans épouse Marie Jaffrès veuve de 28 ans en février 1757!

Comment expliquer ce double phénomène ? L’âge tardif provient en partie du nombre conséquent de remariages. Mais si l’on ne retient que les premiers mariages l’élévation de cet âge tient toujours. Au début du XIXe siècle sur 108 fiancés seuls 5 sont veufs ou veuves : l’écrasante majorité des femmes dépasse les 25 ans et 30 ans pour les hommes.

Mais les considérations matérielles se révèlent déterminantes pour saisir la situation : les Plouguernéens doivent attendre le décès des parents pour convoler en justes noces afin d’obtenir plus de liberté dans le choix du conjoint et afin de pouvoir s’établir plus aisément en espérant totalité ou partie de l’héritage, Il est frappant de constater qu’un nombre impressionnant de jeunes se marie, alors que les parent sont décédés. Dans 42 % des mariages le père d’un des époux est mort. Les chiffres seraient encore plus élevés si nous avions des précisions, à ce sujet, lorsqu’un veuf et une veuve se marient. Ce n’est pas le cas. Dans 32 % des mariages la mère d’un des conjoints n’est plus de ce monde.

A Tréménac’h les résultats sont similaires : 38 % et 29 %. Cet argument économique (la mort des parents pousse au mariage ou le permet en libérant une ferme ou des terres) est confirmé par la multiplication des mariages après les épidémies de 1779 et 1781. En 1779, 24 mariages sont célébrés et 43 en 1780 ; en 1782 : 45 et seulement 29 en 1781.

Mais le mariage tardif permet également de diminuer le nombre des naissances qu’aurait permis un mariage précoce. Il évite tout risque de procréation pendant les années de plus grande fécondité des femmes (18-25 ans). On peut parler de véritable arme contraceptive. Quant à l’élévation de l’âge au mariage dans le temps, il est probablement dû à un léger allongement de la durée de la vie des parents ce qui oblige les jeunes gens à patienter en attendant l’héritage.
Les conséquences de cet âge tardif aboutissent une forte répression de la sexualité des individus. Les relations sexuelles hors mariages étant interdites et rares : à Plouguerneau les naissances illégitimes* sont marginales : – 1 %. Les Plouguernéens devaient vivre un véritable purgatoire matrimonial. Des dérivatifs existaient comme l’onanisme*, l’homosexualité, la fréquentation des femmes plus ou moins douteuses.

Le cas de Marie Breton « de ce bourg » pose à ce niveau une véritable énigme : elle « déclare » la naissance de quatre enfants Anne en 1757, Jean-Allain en 1761, Jean-Marie en 1772 et Marie-Françoise en 1775. Aucun acte de baptême ne porte de mention du père, même absent. Alors Plouguerneau aurait eu sa femme de mauvaise vie, engendrant illégitimement des rejetons de mâles en quête de relations sexuelles ? Difficile à croire avec un clergé aussi omniprésent et une population aussi avide des faits et gestes de ses voisins ! Pourtant F. Roudaut signale l’existence d’une « demoiselle » qui entretient, au grand scandale du public, de coupables rapports avec un ecclésiastique sous l’épiscopat du Gouyon de Vandurand entre 1745 et 1763. S’agit-il de l’abbé de Kervern connu selon le recteur D. de Lesmel « pour l’irrégularité de ses moeurs et l’insubordination trop connue qui l’en rendent indigne comme même de porter le surplus de l’église » ?

Mais si les exutoires existent avant le mariage, il ne faudrait pas exagérer la « souffrance » des jeunes. La puberté est plus tardive entre 16 et 18 ans, aussi la période de continence avant le mariage est, dès lors, un peu moins longue. Le décalage de la maturité sexuelle, allié au poids du clergé léonard sur ses ouailles et à la rigueur de la morale chrétienne, laisse croire que l’abstinence peut être raisonnablement supportée par les jeunes de l’époque.

En ce qui concerne l’appariement des âges au mariages il n’y a pas concordance entre l’âge du marié et celui de sa conjointe : à Plouguerneau 61,8 % des hommes sont plus âgés que leurs femmes ; dans 25,3 % des unions c’est l’inverse et dans 12,8 % des cas il y a égalité. Le comportement des Plouguernéens n’a rien d’original si on le compare aux Français dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. De même, il existe des mariages d’apparence hors norme : nous avons relaté, le 2 février 1757, l’union d’une veuve d’âge mûr, Marie Jaffrès 28 ans, avec un adolescent de 15 ans, Christophe Landuré. En droit canon l’âge minimal au mariage est de 14 ans pour le garçon et de 12 ans pour la fille.

Ces couples durent-ils ? La durée moyenne du couple au premier mariage est de 19 ans. La mort prématurée d’un des conjoints explique cette faiblesse, lors d’épidémies meurtrières comme en 1779 ou 1781 ou quand l’accouchement de l’épouse entraîne son décès.

Le veuvage s’inscrit tout logiquement dans l’univers des paroissiens et contribue au phénomène largement répandu dans les campagnes du remariage.

– Veufs et veuves : les remariages

Les couples qui se présentent à l’église sont le plus souvent composés de célibataires. Cependant, sur 1101 mariages étudiés 275 mentionnent la présence d’un veuf ou d’une veuve. Dans 25 % des unions il s’agit d’un remariage. Rien de bien surprenant dans une société où le mariage est, comme le souligne B.Garnot, « une assurance sur la vie », pour lutter contre les aléas de la vie quotidienne et de plus quatre bras valent bien mieux que deux pour l ’exploitation paysanne. Les veufs sont plus nombreux que les veuves : 211 contre 104. Les premiers ont vu leur couple brisé par la mort prématurée de leur femme en couches. Le remariage est plus facile pour l’homme et intervient assez rapidement après le veuvage : en France souvent avant un an ; à Plouguerneau les chiffres obtenus sont peu sûrs car l’échantillon est trop réduit : 2 ans et 4 mois. L’homme peu chargé d’enfants trouve assez facilement une célibataire. Après la quarantaine ses chances s’amenuisent sérieusement. Les veuves, passé le délai de viduité de 300 jours qui n’est pas toujours observé, se marient dans la paroisse après un an et 8 mois de veuvage. Ce laps de temps peut surprendre car en général les femmes attendent plus longtemps un nouvel époux. Pour 80 % des veuves se remariant les chances d’épouser un célibataire dominent jusqu’à la trentaine. Après trente cinq ans le nombre d’unions entre veuves et célibataires ne cesse de décroître au profit de remariages. Les handicaps existent bel et bien : à l’âge, aux déformations provoquées par les grossesses multiples, peuvent s’ajouter de trop nombreux enfants à charge. Cette dernière situation est susceptible de rebuter plus d’un prétendant. La veuve elle-même éprouve certaines réticences à se remarier lorsqu’elle dispose d’une certaine fortune et d’une famille à laquelle elle se doit de transmettre l’héritage. On rajoutera que si la veuve ou le veuf est notablement plus âgée que son conjoint, la réprobation de la communauté se traduit par un charivari orchestré par les jeunes qui voient dans tout remariage d’un veuf ou d’une veuve avec une jeunette ou un jeunot un dommage au groupe des célibataires tout entier, dont les possibilités de choix se trouvent réduites d’autant.
Quant aux remariages entre veufs et veuves ils sont peu fréquents : 4 % des mariages. L’argument développé plus haut peut en être l’explication.
L’âge médian au remariage est de 44 ans et 3 mois pour l’homme et de 33 ans et 6 mois pour la femme à Plouguerneau. Mais ces âges sont sujet à caution faute de données suffisantes et valent à titre indicatif.

Ainsi le remariage est un phénomène fréquent et structurel de la société d’Ancien Régime car il correspond à une nécessité économique et sociale.

– Les mariages groupés

Plouguerneau, comme de nombreuses paroisses léonardes, connaît un phénomène original, celui des mariages groupés ou collectifs impliquant plusieurs couples. Y. Brékilien relate l’union de 30 à 40 couples à Plougastel le même jour ! A Plouguerneau, le 7 février 1747, 7 couples se présentent à l’église en même temps ! Ces fournées de mariage mettent en présence des familles différentes ou des jeunes de mêmes familles.

Les combinaisons sont multiples : deux frères ou deux soeurs se marient le même jour, deux frères s’unissent à deux soeurs ; de même, les possibilités de mariages croisés existent entre les membres de familles différentes. Le 22 novembre 1774, François Nicolas, Jean Cann, Jacques Le Jacopin, prennent pour épouses Marie-Anne Cann, Anne Nicolas et Anne Cann. Les familles Nicolas et Cann plaçaient ce jour là cinq membres de leurs familles respectives. Certaines cérémonies apparaissent cocasses : Marie Maoguen, veuve F. Jestin, se marie le même jour que son fils Jean Jestin en Janvier 1758, tout comme Vincent Abguillerm, veuf de M-A Leroux, qui se remarie en même temps que sa fille le 8 novembre 1774. On peut s’interroger sur le pourquoi de ces mariages collectifs qui atteignent 7 % du total. Il faut y voir la volonté des familles d’atténuer le coût des noces qui attirent en Bretagne de nombreux invités. A l’argument financier s’ajoutent des impératifs de jours et de saisons qui diminuent les possibilités d’étalement des mariages et au contraire favorisent les regroupements. Les mariages croisés entrent dans les stratégies matrimoniales. La taille de l’exploitation et la part des récoltes commandent un strict respect des effectifs humains. Il ne faut pas trop de bouches à nourrir et suffisamment de bras pour travailler. Si l’on peut éviter le recours à des domestiques c’est plus rentable. Dans ces conditions on essaye d’évacuer les membres excédentaires et d’accueillir au contraire une main d’oeuvre gratuite. Ces échanges humains sont soigneusement calculés pour éviter les évasions de dots et l’intrusion d’éléments étrangers qui perturberaient la vie de la communauté paysanne : on troque fille contre gendre, garçon contre bru.

– L’endogamie* (graphique : origine géographique des conjoints masculins à Plouguerneau de 1747 à 1790)(carte : origine géographique des conjoints étrangers à la paroisse de Plouguerneau (1747-1789)

Le mariage a presque toujours lieu dans la paroisse de résidence de la nouvelle épouse. Dans la majorité des cas, l’époux est originaire de la même paroisse. A Plouguerneau sur 1101 mariages, 299 impliquent des étrangers à la paroisse soit 27,15 %. En fait certains résident dans la paroisse « depuis temps compétents ». Les paroisses les plus pourvoyeuses en horsins*, sont évidemment limitrophes : Guissény (103) Tréménac’h (46) Lanillis (36).

A Tréménac’h, les femmes recrutent à Plouguerneau dans 60 % des cas : entre voisins cet échange de bons procédés est tout à fait naturel. Ces dernières s’approvisionnent également à Guissény (14 %). Les échanges les plus denses se font dans un rayon rarement supérieur à 10 kms : c’est le phénomène d’endogamie. Les pourcentages des conjointes originaires de Plouguerneau et de Tréménac’h sont plus forts que ceux des conjoints car la coutume est de se marier dans la paroisse de la future épouse.

A Tréménac’h, 94 % des femmes et à Plouguerneau 96 % ont pour origine leur paroisse respective. Les deux sexes confondus, 85 % des conjoints proviennent de Plouguerneau.

A Lesneven, en 1770-90, 71,5 % des unions sont célébrées entre habitants de la paroisse.

Bien plus qu’ailleurs, les Plouguernéennes font preuve de conservatisme dans le recrutement des conjoints, même si de temps en temps se glisse un lointain étranger dans les actes de mariages : Sr J-F Colin de Châlons-sur-Marne ou J. Lespinat de St-Martin-de-Jussac en Auvergne.

L’endogamie s’explique aisément dans les campagnes pour des raisons économiques : on ne peut guère s’installer ailleurs quand on possède des terres dans son village natal. Les pourcentages plus élevés rencontrés à Plouguerneau dépendent certainement d’une population assez nombreuse (4400 habitants). Pour un grand nombre de paroissiens il est inutile d’aller chercher un conjoint dans un autre village.

Eugène Weber justifie ce comportement dans la « fin des terroirs » :  » si se marier dans une famille que l’on connaissait constituait déjà une épreuve, se marier parmi des inconnus était décidément pire. et comme chaque communauté familiale formait en soi un monde régi par ses propres lois, les gendres et brus venus d’ailleurs avec leurs coutumes, leurs manières et leur façon de parler, ne pouvaient se sentir que comme des étrangers ».

Les jeunes de la paroisse eux-mêmes pèsent de toutes leurs forces pour éviter le départ d’une fille vers d’autres cieux. C’est une dot, parfois même des terres qui échappent aux gars du village et c’est pour les moins favorisés un risque nouveau de rester célibataire. Si malgré tout la règle d’endogamie villageoise est transgressée, le risque d’insultants charivaris est réel.

Il ne faut pas, pour finir, négliger comme le rappelle Mr Leprohon, « la division ethnolinguistique de la Basse-Bretagne qui est fortement ressentie et la barrière que représentent les limites épiscopales du Trégor et de la Cornouaille ».
Le recrutement des conjoints à Plouguerneau et à Tréménac’h est essentiellement léonard et de proximité. La carte met en évidence l’attraction des paroisses situées à l’est. Le vide occidental provient de l’influence du port de Brest qui ponctionne de nombreux jeunes et qui réduit d’autant les possibilités d’apports matrimoniaux pour les paroissiens du cru. Si quelques horsins sont originaires de secteurs géographiques plus éloignés leur part est cependant faible et surtout bretonne. Un recrutement qui fait apparaître une grande stabilité du monde rural à l’occasion des noces.

b) Les autres participants

Les parents sont présents et par là donnent leur assentiment au mariage. En cas d’empêchement, ils fournissent leur accord par écrit ou par voie orale : « La mère absente pour raison valable a prié de signer pour elle et donne son consentement ». « Le dit Pont absent pour cause d’infirmité a donné son consentement pour le mariage de sa fille Marie avec Joseph Le Pors » (Janvier 1790). « Le dit père autorise le mariage du dit J. Lespinat avec qui et où il jugera à propos suivant acte notarié et contrôlé à Saint-Sernin ». Ces formules sont sans équivoque sur l’emprise familiale lors des noces de cette fin d’Ancien Régime.

Les témoins, tout comme aujourd’hui, sont obligatoires : leur nombre est fixé à quatre mais fréquemment on n’en recense que trois. Il est de bon ton de rechercher, si possible, des témoins de qualité pour donner plus d’éclats à la cérémonie. Sinon on se rabat dans l’environnement familial : frères, soeurs, cousins, oncles font l’affaire. Leurs témoignages peuvent revêtir un caractère particulier : lorsque G. Nicolas et A. Jacopin se marient en février 1749 l’oncle du jeune homme, F. Thépaut, et son parrain, G. Nicolas, « gens de probité et dignes de foy » certifient que le nommé « G. Nicolas est bien majeur par défaut des registres paroissiaux qui ne rapportent son âge ».

Le célébrant ne peut être que le propre curé des conjoints ou du moins de l’un des deux. Aussi certains actes mentionnent le nom d’un religieux d’une autre paroisse : en novembre 1761, Tanguy curé de Saint- Frégant, trève de Guissény, unit H-G. Le Sanquer à Marie Le Jeune. Le recteur de Plouguerneau lui en donne la permission. En novembre 1789, Dominique de Poulpiquet, né à Plouguerneau, le 4 août 1759, succède à son oncle Denis de Lesmel en tant que recteur de la paroisse. Celle-ci est classée parmi celles qui rapportent le plus dans le diocèse (1700 livres). Le recteur, outre ses multiples tâches, tient ou fait tenir par ses prêtres les registres des B.M.S., véritables actes d’état civil.

Il est épaulé par une équipe de cinq à six religieux permanents : J. Bothorel, G. Roudaut, F. Bleuven, F. Le Goff, J. Balcon. Quant à G-M. de Puyferré, il est desservant de la chapellenie* du Grouanec. Mais étant recteur de Plouescat il est probable qu’il n’officie pas sur le territoire paroissial Plouguernéen.
Ces religieux selon leur importance portent des titres différents : le recteur, Mr le Curé, « au aotrou person », le vicaire « an aotrou Kuré », les autres sont prêtres. Parfois on peut noter la présence de diacres*, sous-diacres, sortes de « stagiaires » ecclésiastiques qui apprennent le métier et qui éventuellement apportent leur concours. La paroisse de Tréménac’h a son recteur : F. Le Borgne de 1733 à 1780, F.Broudin de 1780 à 1782 et Y. Le Caill jusqu’en 1792. Il se fait aider régulièrement par les prêtres de Plouguerneau. Ces religieux sont fréquemment originaires des deux paroisses et connaissent parfaitement leurs ouailles.

Fiancés, parents, témoins, amis se pressent le jour du mariage dans l’église ou la « chapelle ». On imagine l’affluence, l’entassement, l’animation et le bruit lors de certaines cérémonies. Les religieux protestent contre les désordres ainsi créés. F. Roudaut rapporte qu’en 1777 l’archidiacre* Roussel se plaint du « concours du peuple qui à l’occasion de 3 ou 4 noces remplissait la sacristie pour signer les rapports ne (lui ait) pas permis d’examiner les vases sacrés, les livres, les ornements ».

c) La cérémonie du mariage

Elle ne se double pas forcément d’une messe. L’essentiel de la cérémonie et la matière même du sacrement résident dans l’échange des consentements par les époux. A Tréménac’h, le recteur note : « ayant reçu leur consentement mutuel, les ai par parole du présent conjoint en légitime mariage ». Le curé procède ensuite à la bénédiction des mariés, de l’anneau, des gâteaux et bouteilles de vin déposés sur l’autel. Ceux-ci seront partagés entre les époux et distribués aux invités lors du repas de noce.

A ce moment, l’assistance redouble de vigilance, car dans une communauté superstitieuse certains signes vont déterminer l’avenir du nouveau couple. Le mari met l’anneau au doigt de son épouse en s’efforçant de l’enfoncer d’un seul coup jusqu’au bout : il veut montrer par là qu’il sera le maître dans son ménage. Si l’anneau bute sur son doigt, c’est la femme qui portera la culotte ! De même, après la bénédiction nuptiale, l’homme essaye de se relever plus prestement que sa femme pour symboliser sa prééminence. Le public également observe les cierges : si l’un s’éteint, c’est le souffle de la mort et le ménage sera bientôt brisé.

Le curé adresse quelques mots au nouveau couple, rappelle la doctrine de l’Eglise sur la sainteté du lien conjugal. Pendant l’échange des promesses chacun surveille son voisin, vérifiant qu’il ne noue pas « l’aiguillette », un noeud dans une ficelle : le marié serait alors frappé d’impuissance.
Après la cérémonie on passe à la sacristie pour payer les honoraires du prêtre et signer les registres. Les mariages de personnes de qualité déplacent une assistance nombreuse n’hésitant pas à parapher abondamment et soigneusement les registres. Les actes impliquant les roturiers*, à l’inverse, ne comportent que quelques croix mal dessinées.

On prend congé du recteur et le cortège débouche de l’église. Il peut être accompagné, ce n’est qu’une éventualité, par le ou les sonneurs. J-M. Guilcher signale l’existence d’une « danse d’honneur » dans la zone côtière comprise entre Landéda et Le Conquet entre la cérémonie religieuse et le repas, près du calvaire ou de l’église. A Plouguerneau, il est difficile de se prononcer à ce sujet.
Le cérémonial est vite oublié et aux sons des cloches, des décharges de mousqueterie, du joueur de biniou, la noce se rend dans les auberges du bourg. Il s’avère délicat de cibler les instruments utilisés par le ou les sonneurs. Le Gonidec ne rapporte, lors des noces, la présence que d’un seul musicien. Mais en 1627, au mariage de R. Babier, marquis de Kerjean les trois joueurs de violon « sonnent aux fiançailles et au mariage ». Cambry, dans son voyage dans le Finistère, à la fin du XVIIIe siècle, évoque les tambourins, musette (ou « biniou »), hautbois (ou « bombarde »). Les comptes-rendus des fêtes révolutionnaires et impériales fournissent la preuve que certains instruments de musique interviennent dans les réunions festives : en 1811 on retrouve le violon à Plouescat et à Lesneven, la veuze, sorte de cornemuse, à Gouesnou, la musette à Lannilis et le biniou à Brest. Y aurait-il une tradition musicale et instrumentale dans nos paroisses léonardes ? Difficile à dire. Quant au duo biniou-bombarde, si fréquent en Cornouaille, il ne semble pas avoir les faveurs des léonards.

d) les temps du mariage : jours et saisons

Tout le sérieux du processus qui conduit au mariage a été évoqué et rien n’est laissé au hasard. Quant aux choix du jour et de la saison ils ont été mûrement réfléchis : on ne convole pas à n’importe quelle époque de l’année. Il faut tenir compte des contraintes religieuses et économiques.

A Plouguerneau, on se marie le mardi dans 81,4 % des cas, le mercredi ne concerne que 11,70 % des unions. La cérémonie a lieu le matin selon les statuts synodaux de 1707. Le choix du jour est fonction de la durée de la noce : selon J.M. Guilcher elle dure trois jours; un jour d’honneur, celui du mariage religieux, un second au programme variable selon les régions et un troisième pour les amis proches, les domestiques, les pauvres. Le vendredi est considéré comme un « jour triste » puisque c’est le jour de la mort du Christ. De plus, on imagine mal un frikot sans viande pour cause de jour maigre ! Le dimanche, les mariages sont exclus pour permettre la célébration du culte. Il serait également malséant de profaner le jour du seigneur par des divertissements. Le samedi, coincé entre ces deux jours, est peu propice aux longues noces. Le début de la semaine est donc plus favorable au mariage : les fiancés ont pu se préparer pieusement en se confessant et en communiant au cours de la messe dominicale; les victuailles pour le frikot seront également plus facilement rassemblées pendant ce jour de repos. Ce défaut d’étalement accroît la surcharge de travail des prêtres qui doivent célébrer les unions sur deux jours !

Le mouvement saisonnier des mariages est riche d’enseignement. A Plouguerneau et à Tréménac’h on se marie en janvier-février, en juillet, et en fin d’année

 

Le premier saillant précède le Carême, temps d’abstinence, et fait suite à l’Avent, temps de pénitence. Ces deux « temps clos » bloquent toute possibilité d’union pendant de longues semaines et engendrent une envolée de la nuptialité en début d’année. La prescription ecclésiastique se justifie, par le désir d’éviter, en temps de pénitence, tout prétexte à des réjouissances publiques. Il est possible, en cas d’urgence, de demander et d’obtenir une dispense. Le dôme de fin d’année (septembre, octobre, novembre) est fonction de l’Avent que l’on évite ainsi et correspond à la fin des durs travaux de la moisson. Celle-ci est plus tardive en Léon à cause de l’été incertain et de la culture du blé noir que l’on récolte à partir de septembre. Les jeunes sont libérés plus tard ce qui explique le décalage par rapport à d’autres régions de France.

Le pic de juillet, moins notable à Tréménac’h, s’amorce en juin et apparaît pour beaucoup comme lié à la montée de la sève de printemps, saison des amours. Le paysan profite sûrement de la pause agricole entre foins et moisson. Le mois de mai est peu prisé par les paroissiens car il a mauvaise réputation; il est regardé comme néfaste et l’enfant engendré ce mois risquerait de devenir l’idiot du village ! Le rythme saisonnier épouse étroitement le calendrier liturgique, ses contraintes, et le calendrier agricole. Le paysan léonard se marie plutôt pendant la saison froide et non pas à la belle saison.

e) Le repas de noces : An eured

Le repas de noce

 

Il a lieu dans la maison du père de la mariée. Il représente le second temps fort de la journée, moment essentiel marquant, après l’union des deux époux, celle des deux familles partageant le même repas. Le Gonidec signale l’existence d’un premier repas, assez léger, mais copieusement arrosé de vin. Puis quand tous les invités sont arrivés on se rend sous des tentes, ou la tente suivant le nombre de convives. Elles sont tendues de drap fin dans le haut, des couronnes de fleurs et des bouquets pendent au-dessus des mariés. Les tables sont faites avec des échelles placées bout à bout sur des pieux, des planches placées sur les degrés et recouvertes de pièces de toile. Le nombre de participants peut se compter par centaines. Cambry parle de quatre à cinq cents convives même « chez de pauvres gens qui par leurs présents font la dot et l’ameublement de ces nouveaux époux ».

Dans le Léon, la tradition pousse chacun à payer son écot sous des formes diverses : en argent, pour éviter une charge trop lourde pour le nouveau couple ou en nature (blé, lin, miel). Cette coutume s’est perpétuée tardivement au XXe siècle. Les mariés s’assoient à l’un des bouts : le garçon et la fille d’honneur prennent place près d’eux, ainsi que les invités de marque. L’abondance des mets permet à beaucoup de rompre avec la frugalité de tous les jours. Le vendredi précédant la noce on tue les animaux pour le festin : une vache ou deux, voire plus. Soupe grasse, tripes, ragoût, rôtis, « kig ha farz » se succèdent toute la journée. Cambry évoque l’usage, dans le Finistère, de boire des « vins de toute espèce, l’eau de vie quelque chère qu’elle soit, on s’égaie, on s’enivre surtout ». A la fin du repas, un des chefs de famille se lève, on se tait. Il récite les grâces et adresse une prière pour le bonheur des époux, une autre pour les morts de l’année. Ensuite on chante des hymnes latins, des cantiques et des chants en breton.

 

Puis les jeunes gens sortent discrètement pour se rendre au lieu de la danse, tandis que les mariés sortent de table, puis vont se placer des deux côtés des portes de la cour. Pour J. Simier la danse lors des noces se fait sur l’aire à battre.

Une noce en Bretagne

 

Le pays Pagan à ce niveau est une entité culturelle particulière selon J. M. Guilcher. Plouguerneau ne pratiquerait pas la gavotte, Kavotenn, localisée plus à l’ouest entre l’ Aber-Wrac’h et la Pointe Saint-Mathieu. La danse ronde aux trois pas, aurait, par contre, une importance qu’elle n’a nulle part ailleurs en pays bretonnant. Elle est la danse du terroir par excellence pratiquée en toutes circonstances officielles, noces, pardons, foires, et privées. Connue sous le nom de ridée ou dans moul, il s’agit d’une danse du littoral, ronde et du type le plus frustre. La version du pays Pagan comporte une alternance de tempo calme, ou pas marchés et de temps rapide, ou pas courus. Le chant est l’accompagnement habituel de la danse ronde aux trois pas, il est assuré par les danseurs eux-mêmes, un soliste, souvent une femme, alternant avec le choeur. Parfois les femmes commencent seules la ronde et les hommes les rejoignent ensuite, comme à Lilia. D’autres danses ont pu être pratiquées : en 1836, Souvestre mentionne une danse monotone et sérieuse (une variante de dans Léon ?) où « les filles avancent en cadence à petits pas, yeux baissés, les bras pendants, tandis que les jeunes gens, le front haut, l’air sévère marchaient à leurs côtés; puis s’arrêtant tout à coup vis-à-vis d’elles prenaient leurs mains, tournaient trois fois et reprenaient gravement leurs places. »

Certains invités, demeurant au loin, sont obligés de partir : l’époux leur offre dans une tasse d’argent du vin béni ainsi que du gâteau béni dont chacun rompt un morceau. Après ces départs, le nouveau couple rejoint les danseurs et ne dansent qu’ensemble.

Au souper, bien plus simple, les nouveaux mariés servent leurs plus proches parents, qui les avaient servis au déjeuner, et à la fin ils trinquent avec les convives, puis se retirent pour aller s’habiller en blanc. Après avoir demandé à genoux la bénédiction de ses parents dans une salle voisine, la mariée, en pleurs, se rend dans la chambre nuptiale avec sa fille d’honneur qui tient une chandelle allumée. Le marié s’y rend aussi avec son garçon d’honneur porteur d’une autre chandelle.

Le couché de la mariée

 

Les parents et les amis intimes sont présents. La mariée donne un baiser à chacun, reçoit leurs souhaits de bonheur et de naissance de nombreux enfants. En présence de tous, aidée de sa fille d’honneur, elle monte dans le lit nuptial (clos) où le marié la rejoint. La fille et le garçon d’honneur se tiennent debout, ayant à la main, chacun sa chandelle sans chandelier, car ils doivent rester là jusqu’à ce qu’elle commence à leur brûler les doigts. Le dernier qui l’éteint devait mourir, ainsi on évitait un mauvais sort aux mariés. Les assistants entament le « Veni creator », puis tous, plus ou moins avinés, chantent des chansons jusqu’au jour. Le garçon et la fille, tenant toujours la chandelle, défendent l’approche du lit.

A l’aurore seulement, on apporte aux mariés la soupe au lait. Le lait symbolise la fécondité et la perpétuation de la race humaine, l’unique récipient pour cette libation rappelle que tout est commun entre les époux. Cette cérémonie fixe le futur du nouveau couple : mélange d’agréments, le bon lait chaud, et les ennuis à vaincre, le chapelet de morceaux de pain que l’on y glisse malicieusement et qui déclenche l’hilarité du public. Les trois premières nuits sont vouées à la continence, c’est l’usage de la nuit de tobie. Souvent la jeune épouse va, les deuxième et troisième nuits partager le lit d’une soeur ou d’une amie. Les plaisirs de la chair ne trouvent leur place que lors de la quatrième nuit.

Le lendemain du mariage, les nouveaux époux, vêtus des costumes de grand deuil, vont assister à une messe dite pour les parents décédés. Puis, en compagnie d’invités en nombre plus restreint, c’est le « retour de noce ».

Ainsi s’achève le processus qui conduit au mariage. Les jeunes qui se marient sont majoritaires mais un certain nombre d’entre eux restent célibataires, combien sont-ils dans les deux paroisses plouguernéennes ? Le problème est quasi-insoluble car la notion de célibat n’est jamais indiquée dans les registres des sépultures. Le cas de Marie Manach, 21 ans, qui « mourut au village de Kerlastren », en août 1749, comme « jeune fille » est tout ce qu’il y a d’exceptionnel.

En conclusion, les habitants de Plouguerneau et de Tréménac’h, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, apparaissent bien peu différents de leurs concitoyens français. Leurs comportements matrimoniaux sont profondément conservateurs et comment pourrait-il en être autrement ? On se marie généralement dans le même milieu social, on subit l’emprise des milieux familiaux et ecclésiastiques. Le recrutement des conjoints est lui-même peu original : léonard il ne fait qu’entrouvrir les deux paroisses sur des terres lointaines. Les règles d’homogamie et d’endogamie sont plus que jamais applicables à Plouguerneau et à Tréménac’h. Cependant les traditions restent vivaces et les rites particuliers font du mariage bas-breton une cérémonie et une fête vivante et attachante, teintées d’une religiosité qui leur donne une gravité certaine que l’on retrouve également en Cornouaille.

Une vie nouvelle commence pour les deux époux. Une famille est née dans le cadre paroissial. Elle forme une communauté économique dont l’un des aboutissants est la naissance d’’enfants. (à suivre).

GLOSSAIRE

– Archidiacre : ecclésiastique responsable de l’administration d’un archidiaconé, ou partie d’un diocèse, sous l’autorité de l’évêque.

– Avent : période de quatre semaines de l’année liturgique qui précède et prépare Noël.

– Ban : proclamation officielle et publique. Le prêtre proclame les 3 bans au prône pour les mariages.

– Carême : période de quarante jours, consacrée à la pénitence et au jeûne du mercredi des Cendres au jour de Pâques.

– Chapellenie : bénéfice, dignité d’un chapelain ou d’un prêtre bénéficier (voir bénéfice).

– Charivari : tumulte, huées, railleries que l’on fait aux veufs et veuves qui se remarient avec un conjoint beaucoup plus jeune qu’eux, ou aux personnes dont on désavoue l’inconduite.

– Diacres : ecclésiastique qui a reçu le diaconat, c’est à dire l’ordre immédiatement inférieur à la prêtrise.

– Douaire : jouissance accordée à la femme survivant à son mari d’une partie des biens de celui-ci.

– Endogamie : mariage entre individus originaires du même lieu.

– Exhérédation : action de déshériter quelqu’un.

– Fabrique (la) : ensemble des biens d’une paroisse (le temporel), mais ne sont pas ceux du curé. C’est également l’organisme chargé de les gérer. Certaines fabriques sont riches des biens accumulés aux siècles précédents (exploitations agricoles, terres, rentes) à partir de donations ou fondations.

– Ferme : système couramment employé pour la levée des impôts indirects (boissons, tabac). Un particulier, une compagnie financière obtient, en échange d’une somme forfaitaire, la perception des impôts. L’avance initiale est en général largement remboursée sur le dos des plus humbles, d’où les critiques.

– Homogamie : mariage entre individus de même niveau social.

– Horsin : étranger à un lieu.

-Milice gardes-côtes : obligation militaire d’une durée de 6 ans. La milice gardes-côtes surveille et défend le littoral. Le commandement est confié à un capitaine, un lieutenant et un enseigne, tous élus. Le système est très critiqué car le tirage au sort est inégalitaire

-Naissances illégitimes : enfants nés d’une union durable (concubinage), passagère (passade), ou momentanée (viol), entre un homme et une femme non mariés.

– Onanisme : recherche solitaire du plaisir sexuel ou masturbation.

– Officialité : tribunal ecclésiastique présidé par l’official (clerc gradué en droit canon chargé par l’évêque de rendre la justice en son nom en matière ecclésiastique).

– Pâques : fête annuelle qui commémore la résurrection du Christ. Période aux dates variables mais comprise au plus tôt le 22 mars et au plus tard le 25 avril.

– Parlement de Bretagne : cour souveraine de justice installée à Rennes. Tribunal d’appel pour tous. Composé de nobles il peut exercer son droit de remontrance sur les édits royaux et par là s’opposer à la monarchie.

– Procureur (fiscal, du roi) : officier, dans un tribunal, chargé de défendre les intérêts du public, ceux de la seigneurie ou du roi.

– Roturier : tout individu non noble.

– Syndic : individu chargé de représenter et d’agir au nom d’une communauté, ici la paroisse.

– Tiers état : sous l’Ancien Régime, partie de la société française qui n’est pas privilégiée : les paysans sont majoritaires. Les autres membres du tiers état sont les bourgeois (commerçants, marchands, artisans), les ouvriers ….

– Vicaire général : prêtre qui assiste l’évêque dans l’administration diocésaine.

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES GENERAUX

· BOUET A. et PERRIN O. : BREIZ IZEL ou la vie des bretons de l’Armorique (Tchou)

· BREKILLIEN Y. : La vie quotidienne des paysans bretons au XIXe siècle (Hachette)
· CAMBRY : Voyage dans le Finistère en 1794-95 (Coop. Breizh)

· FLANDRIN J-L : Les amours paysannes (XVIe-XIXe siècles) ; Gallimard. 1975.

· GARNOT B. : La population française aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles (Ophrys) – 1992

· GUILCHER J.M. : La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne (Mouton)

· HERPIN E. : Noces et baptêmes en Bretagne

· OGEE : Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne

· PRISER L. : Le mariage en Bretagne autrefois (Editions Libro-sciences)

· SEBILLOT Y. : La Bretagne et ses traditions (Royer)

OUVRAGES SUR LE LEON ET PLOUGUERNEAU

SUR PLOUGUERNEAU

· PERENNES : Une paroisse entre Manche et Océan

· SIMIER J. : Mon bagne volontaire à Béniguet

SUR LE LEON

· Traditions et noces rurales en Finistère (Imprimerie du département du Finistère – 1987)

· ELEGOET L. : Ancêtres et terroirs. Onze générations de paysans de Basse-Bretagne (Ouest-France – université)

· GALLO Y. : Clergé, religion et société en Basse-Bretagne de la fin de l’Ancien Régime à 1840 (Edition Ouvrières)

· LE GONIDEC : Mémoire de l’académie celtique – 1807

· LE PROHON R. : Vie et mort des bretons sous Louis XIV (Bibiophiles de Bretagne)

. ROUDAUT F. : Les léonards et leur clergé : Etudes sur la Bretagne et les pays celtiques (Mélanges offerts à Y. Legallo)

· SOUVESTRE E. : Le Finistère en 1836

· TANGUY P. : Etude économique, sociale et démographique de la région de Lesneven au XVIIIe siècle (Maîtrise 1970)