PRAT-PAOL – Plougerne
Il est des lieux qu’il faut aborder avec un sixième sens, et Prat-Paol est l’un d’eux. Non pas que l’endroit ait aujourd’hui quelque chose qui vous attire, ni que ses environs, pourtant connus et fréquentés par de rares promeneurs ou pêcheurs à la ligne des bords de la rivière toute proche soient si attrayants, mais surtout par les récits fabuleux, nés à l’occasion d’un fait raconté qui s’entretient lui-même en se précisant et souvent en s’amplifiant, qui y sont et resteront présents encore longtemps.
A peine à plus d’une lieue au sud-est du bourg de Plouguerneau, tapi non loin de la rivière, sur le versant sud de la colline de Ran-ar-Groaz, c’est un hameau typique de notre campagne du secteur de Tréhénan, à sa limite avec celui de Gorrébloué.
La petite chapelle, les trois fontaines, les stèles gauloises, un pré : c’est Prat-Paol. La chapelle, petit édifice rectangulaire avec un petit clocheton à l’ouest de son pignon percé d’une fenêtre longue et étroite, est posée sur un minuscule enclos. Deux autres ouvertures donnent un peu de lumière sur l’autel. A l’intérieur, deux statues : l’une représentant la Vierge-Mère, l’autre Saint Paul Aurélien en évêque sous le vocable duquel la chapelle est placée. Elle est bâtie sur une des trois sources. La deuxième source, dans l’enclos, a été aménagée pour en faciliter l’accès. Quant à la troisième, elle se trouve dans le terrain vague attenant où elle occasionne un bourbier. Près des marches d’entrée de l’enclos, une belle stèle gauloise en pyramide tronquée, et sur un petit tertre près du bourbier, une autre pierre taillée git dans l’herbe.
A peine celui-ci eut enlevé la première motte que l’eau se mit à sourdre. Il en fut de même aux deux autres endroits que le maître avait désignés. Ainsi naquirent les trois fontaines de Prat-Paol.
Un autre récit rapporte que le pays était terrorisé par un dragon. Saint Pol, d’un seul coup de serpe décapita le monstre dont la tête roula sur le sol en trois bons, faisant surgir 3 sources. La première source se trouve sous l’autel de la petite chapelle, la seconde dans le placître, la troisième hors de l’enclos. Et le corps du dragon, qu’en fit-il ? La réponse se trouve dans le récit de la vie de Saint Tugdual, d’Albert Le Grand, annoté par M. de Kerdanet : « J’ai détruit chez vous un serpent, disait autrefois saint Pol aux habitants de Tolente, et pour vous prouver que c’était vraiment un serpent, j’en laisse un autre sous la croix de Pont-Krac’h. »
Ceux qui se fixèrent dans le département actuel du Finistère furent appelés Osissmes ou Osimiens, du fait qu’ils se trouvaient les plus hauts par rapport au reste de la Gaule, selon les connaissances géographiques de cette époque. C’est le peuple qui a laissé les noms de lieux que l’on trouve partout encore dans notre terroir. Ce sont les Osismes qui ont creusé les souterrains-refuge, retrouvés accidentellement ces dernières années près de Keravel, à Kergadavarn, à Kervily, et, il y a plus longtemps à Castel-an-Dour et au Derbez.
C’est encore à ce peuple que l’on doit les pierres taillées et dressées que l’on peut voir dans la commune, entre autre la stèle gauloise de Grouanec-Koz et celle d’Hellez déplacée et dressée à Beg-ar-C’hastel à l’estuaire de l’Aberwrac’h.
Les romains, eux, ne semblent pas avoir marqué leur occupation, pourtant assez longue, du pays d’une façon profonde. En plus des voies romaines construites dans la première moitié du Ier siècle de notre ère – vers les années 45 et 47, sous le règne de l’empereur Claude – quelques noms marquent encore ce lointain passé : noms à la signification militaire et stratégique, tels le camp de Lilia avec ses défenses, les postes fortifiés, Castellum, sous les noms de Castel-Ac’h (avant-poste de Lilia), Castel-al-lez, Castel-ar-Hran, Keruzal-Vraz, Beg-ar-C’hastel et même l’ancien castellum de la bourgade : Château-Tremblant, de francisation défectueuse et péjorative.
Ce sont les Romains qui ont donné la première appellation à ce groupe d’habitation en bois (de chène) qui constituaient le bourg, en latin vicus et dénommé vic-querné.
Selon des études récentes d’une historienne anglaise (1965), la première immigration des Bretons, celtes insulaires, s’est produite vers la fin du IIIe siècle et le début du Ive siècle dès 270 ou 300.
Ces bretons, chassés du Cornwall et du Devon par les incursions incessantes des pirates Scots – nom donné aux Irlandais dans l’Antiquité – ont fui leur pays ravagé, traversé la manche, pour s’installer sur le littoral de l’Armorique – au Nord et à l’Ouest – et avec l’accord ou sans l’accord des autorités romaines dénomment des nouveaux états : Cornouaille et Domnonée.
Ces nouveaux immigrants étaient déjà chrétiens quand les habitants de l’Armorique ne l’étaient pas encore. Ce sont eux qui ont fondé les premières paroisses et, sans aucun doute, c’est de cette époque, fin du IIIe siècle, que date la paroisse de Plou-Querné dont l’appellation a remplacé le Vic-Querné. Le bourg, Plwyf1 (du latin pleben, prononcé plouef)), est encore en gallois le nom de la ‘paroisse’.
Ces Chrétiens, fondateurs de la paroisse, restaient cependant une minorité parmi la population qui, très disséminée dans la campagne, conservera encore longtemps ses croyances traditionnelles et ses pratiques païennes.
Les bois les taillis servaient de refuge aux habitants qui y trouvaient les matériaux pour leurs constructions, pour leur outillage, leur mobilier, leur chauffage. Mais seules les hauteurs, collines et coteaux étaient l’objet de défrichements. Dans les clairières ainsi obtenues, ils gardaient d’innombrables troupeaux, de porcs surtout. De-ci de-là quelques prés, non loin des sources, existaient là où la pente permettait l’écoulement rapide du ruisseau. Faute de ne pouvoir les drainer, les bas-fonds plats restaient des marécages : des yeun, comme à Keryunoc, ou des ‘nodé’ comme à Nodé-Veur (elle se trouve à plus de 500 mètres du lieu-dit non loin de Ranénézi).
Les arbres étaient respectés par les Celtes. Ils y trouvaient nourriture, abri et couvert. Certains d’entre eux étaient l’objet de vénération : l’if, le chêne, entre autres, étaient sacrés. A Plouguerneau des noms de lieux-dits révèlent les espèces végétales existant à l’origine du peuplement celtique : Poul-skao, Coatalec, Lannebeur, Lanverzer, Faubourchou, et tant d’autres rappellent le sureau, le saule, l’if, le chêne, le hêtre.
Comment ne pas conclure alors qu’une divinité était encore vénérée au bas de la colline de Rann-ar-Groaz ? Les trois fontaines n’indiqueraient-elles pas un culte d’une Triade, soit les trois grands dieux : Belenos, Taranis et Lugos, soit des déesses des eaux, des fées que le nom gallois ‘Y Mamau’ traduit le breton ‘ar vammou’, les mères ou les matronnes ? Ce culte n’était-il pas encore en vigueur au début du Vie siècle lorsque Paul Aurélien et ses douze compagnons s’arrêtèrent à Prat-Paul, après une longue marche, pour se reposer et apaiser leur soif ?
Aucune indication ne nous permet de le préciser. L’eau de source, symbole de pureté, guérissait les fidèles de leurs souffrances physique et morale. Telle était, avant le christianisme, la mystique des fontaines.
Aussi ne serait-il pas plus normal de voir dans la hauteur qui domine les sources de Prat-Paol de trente mètres le nom de Rann-ar-Waz ? Le vieux culte des sources, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, était d’usage à Plouguerneau durant plusieurs siècles et à ce point enraciné que le christianisme se l’est approprié pour y mettre sa marque en les plaçant sous le vocable de Saints ou Saintes plutôt que de les faire disparaître.
On retrouve ces sources à changement de vocable à Notre-Dame à Saint-Laurent, à Loguivy, au Naoont, à Castel-ar-Hran, entre autres. Rann-ar-Groaz et Prat-Paol sont en outre signalés par des pierres dressées, trois stèles2 gauloises.
Elles sont en général christianisées et témoignent aujourd’hui de l’implantation dans le pays du jeune christianisme qui offrit, à une population abandonnée au désarroi d’une vie de labeurs et de misères, la promesse du salut.
Le secteur Rann de la source, ar Waz3, devint lui-même le secteur de la croix.
En abordant ces lieux, Prat-Paol, Rann-ar-Groaz, Pont-Krac’h, une impression indéfinissable, de gène peut-être, vous saisit devant ces souvenirs maltraités.
Ces monuments, si minimes soient-ils méritent le respect. La petite chapelle, les trois fontaines, les stèles gauloises, doivent retrouver un cadre digne de leur histoire. Il faut souhaiter qu’on puisse leur appliquer cette phrase de Péguy : « Deux mille ans de labeur ont « fait de cette terre un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.»
Saint Bernard de Clairvaux n’a-t-il pas dit : « Le rôle de l’homme a été de compléter la création divine. »
Faire du beau doit être notre but, à nous aussi, habitants de Plouguerneau.
Plougerne, gouere 1973 – Pierre Abjean
– R. Furon – Manuel de préhistoire générale – Paris 1958
– P.R. Giot – La Bretagne avant l’Histoire – Rennes 1972
– G. Le Skouezec – La Bretagne mystérieuse – Paris 1966
– F. Le Roux – Les Druides – Paris 1961
– F. Lot – La gaule – Paris 1947
– O. Loyer – Les chrétientés celtiques – Paris 1965
– A. Le Grand – Les vies des Saints de la Bretagne Armorique – Rennes 1837