« Sur le pont d’Avignon, on y danse, on y danse, sur le pont d’Avignon on y danse tous en rond ! » – Qui dans son enfance à Plouguerneau n’a pas chanté cette chanson là ? Dans notre pays pagan, on aimait bien danser en rond sur les ponts du monde : sur le pont d’Avignon bien sûr, mais aussi sur le pont du Nord – joli cœur de rose – et même en breton war bont an Naoned (sur le pont de Nantes !).
Pourtant à Plouguerneau il n’y avait pas beaucoup de ponts et celui de Paluden ne se prêtait pas beaucoup à ce genre de réjouissances, encore moins celui du Pont du Diable là-bas au fond de son ravin. Non, on dansait plutôt aux carrefours des routes de campagne comme au Leuré, voire peut-être à l’entrée du Grouanec.
Mais c’est vrai qu’à l’entrée du Grouanec, sur la route qui vient du bourg de Plouguerneau, il y avait un panneau indicateur qui nous intriguait car il indiquait « Pont-Avignon » !
Croisement à la sortie du Grouanec ou se trouvait le panneau.
Ce panneau a malheureusement disparu depuis quelques années et cela nous interpelle sur ce nom de lieu assez incongru à Plouguerneau. Il faut faire appel aux étymologistes pour essayer de comprendre le sens de cette curieuse indication. Voici ce qu’écrivait Pierre Abjean (1) à ce sujet :
« A cet endroit il y a un nom de lieu qui indique une source tout-à-fait dans un état naturel, c’est Pont-Avignon , où les cartographes n’ont pas mis la préposition de ou d’ devant la voyelle A du nom Avignon. Dans cette appellation située à un carrefour de deux chemins départementaux, il y a lieu de voir deux mots : l’un est le mot Pont qui s’écrit en breton comme en français dont il provient d’ailleurs, le mot celtique étant briva ; l’autre étant le mot avignon qui résonne évidemment comme la ville au célèbre pont où l’on danse tous en rond. Mais le nom de lieu aurait certainement dû s’écrire pont-a(r)-vignon.
La source en vieux celtique se disait bugn, au pluriel bugnou. A partir du VIIème siècle ce mot s’est modifié en bignon, voire bign, ou encore beugn. Ce nom très répandu en France a surtout le sens de la source. On en a rapproché le mot vieil-irlandais buinne, source jaillissante. La lettre B du début de ces mots se mute en V selon la règle des mutations qui s’applique en breton. On dit ar vignon ou ar vign et non ar bignon ou ar bign.
Sortie de la buse qui a sûrement remplacé le pont.
La chute de la désinence, très courante aussi en breton qui accentue l’avant-dernière syllabe, et non la dernière comme en français, a sans doute fini par donner vign au lieu de vignon, mais aussi, ultérieurement, le mot ven à la place de vign. Le mot ven est très courant dans la toponymie bretonne et même plouguernéenne. (Kerven, Prat-Orven, Kelerven, Pengourven, etc…). Notons que pour plus de compréhension ven a parfois était remplacé dans les noms de lieux par le suffixe gwen, plus compréhensible aux rédacteurs du cadastre ».
Non loin de Plouguerneau, à Guisseny, derrière la mairie, il y a un lieu dit la Vigne. Ne cherchez pas à cueillir de raisins en cet austère lieu armoricain, mais étudiez plutôt sa situation entre deux ruisseaux qui vous rappelleront peut-être la fin de Tristan et Yseult quand deux vignes ont poussé sur leur tombe : tout cela face aux rochers de Neiz-Vran qui ont aussi engendré la légende de la voile blanche et de la voile noire, mais ceci est une autre histoire (2) …
Comme le faisait remarquer Jean Huchet (3) « l’aire géographique du nom de lieu Bignon est significative. Il est rare au sud, à l’est et au nord de la France. On en trouve quelques dizaines dans la région Centre, dans le Poitou et en basse Normandie. En revanche en Pays de Loire comme en Bretagne, Bignon totalise entre 150 et 200 lieux-dits. Il est absent, sous cette forme, du Finistère où l’on trouve ses équivalents bretons. Deux communes de l’Ouest portent ce nom, Le Bignon (Loire Atlantique) et Le Bignon-du-Maine en Mayenne. … Il semble que ce nom soit d’origine ancienne. On le rattache au gaulois bun, qui désigne une source jaillissante, ou excavée. On sait combien les sources revêtaient une grande importance autrefois pour l’installation des habitations. Leur abondance dans l’Ouest, surtout dans le Massif Armoricain a permis un habitat dispersé dont les noms ont conservé la raison de l’implantation. »
Croix du Pont-Avignon au croisement vers le Leuré – Notre association mettra en valeur cette croix sous peu.
On pourrait aussi s’instruire de la longue étude du chanoine Falc’hun (4) sur les noms de lieux celtiques où il s’étend sur les lieux-dits Mignon, Vignon, Mignen, Mignac, en Allier, en Sologne, en Charente-Maritime, et même jusqu’à Vienne… Mais revenons à Plouguerneau :
Pour conclure, pourrons-nous bientôt revenir danser sur le Pont-d’Avignon, ou peut-être sur le pont-ar-vignon ? Les souvenirs de l’époque celte sont encore nombreux chez nous, mais souvent ignorés au risque de leur disparition. Alors, à défaut de venir danser en ce lieu, venons au moins découvrir cette source qui alimentait les douves du manoir de Coat-Quenan, situé un peu plus bas au sud de ce carrefour… du moins quand ce haut lieu de l’époque celtique sera de nouveau indiqué aux passants par une pancarte judicieuse : Pont-Avignon ?
(1) Pierre Abjean – Notes manuscrites – vers 1974
(2) René Abjean – Balade sur la côte des Légendes au temps du Roi Arthur – Cahiers de l’Iroise n° 216 – voir aussi la légende du Chevalier Bran dans le Barzaz Breiz
(3) Jean Huchet in Ouest-France du 09/03/2008
(4) François Falc’hun – Les noms de lieux celtiques – Ed. Slatkine 1982
René Abjean – Avril 2014