Comment découvrir la vie des plouguernéens au XVIIIe siècle


COMMENT DÉCOUVRIR LA VIE DES
PLOUGUERNEENS AU XVIIIe SIÈCLE

Plusieurs possibilités se présentent pour rechercher des renseignements sur la vie de nos ancêtres à l’époque des Lumières.

On peut se tourner vers les registres des baptêmes, des mariages et des décès (les B.M.S.) qui offrent de multiples ressources, comme on le découvrira lorsque nous dévoilerons le résultat de recherches portant sur la vie des Plouguernéens dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ces registres se trouvent aux Archives Départementales de Brest. Il est également possible de s’intéresser à la série B (6B de la cour royale de Lesneven et 16 B des cours seigneuriales de Carman et du Châtel) pour se plonger dans les inventaires après décès et appréhender la vie matérielle, agricole et plus rarement maritime des habitants de Plouguerneau. Ces documents sont également conservés aux Archives Départementales de Brest.

Les registres des B.M.S., des années 1747 à 1790, constituent une matière première inégalée pour analyser en profondeur la population Plouguernéenne et suivre ses comportements démographiques. A cet effet, 12.354 actes ont été dépouillés. Le travail fût long mais enthousiasmant dans ses conclusions. Afin d’élargir le champ d’investigation concernant le territoire Plouguernéen, la petite paroisse de Tréménac’h a été rattachée à l’ensemble de l’étude.

Il n’est pas inutile de rappeler quelques éléments relatifs à l’état civil ancien.

Institué en Bretagne le 3 juin 1406 par une ordonnance de Mgr Le Barbu, évêque de Nantes, il est adopté par les autres évêques bretons par la suite. Le pouvoir royal intervient également à plusieurs reprises :

– en 1539 l’ordonnance de Villers-Cotterêts, oblige les curés de tenir, en langue française, des registres de baptêmes pour les nouveau-nés et d’autres pour les sépultures des personnes tenant bénéfices*, c’est à dire surtout les membres du clergé.

– en 1579 l’ordonnance de Blois rend obligatoire l’enregistrement des mariages par les curés et le dépôt annuel du registre des B.M.S au greffe du tribunal royal le plus proche.

– en 1667 l’ordonnance de St Germain-en-Laye impose la tenue des registres en deux exemplaires : la minute reste au curé, la grosse est déposée au greffe. L’ordonnance spécifie les renseignements que chaque acte doit comporter.

– en 1736 une déclaration royale, entièrement consacrée à la tenue des registres paroissiaux rappelle et précise les dispositions de 1667 et ajoute que les deux registres doivent être remplis simultanément afin d’éviter que le second ne soit qu’une copie approximative du premier. Cette surcharge de travail, le manque de temps, incitait le recteur à recopier en fin d’année les actes sur la grosse à partir de l’original.
Ainsi le 22 janvier 1771, le recteur de Lesmel : « certifie que la présente grosse est conforme à l’original » de l’année 1770.

Les registres se présentent sous la forme de petits cahiers dont le nombre de rôles ou folios est variable : quatre à Tréménac’h, entre vingt et trente à Plouguerneau. En période d’épidémie, par défaut de place, il est nécessaire de rajouter quelques pages. Les deux paroisses dépendant de la sénéchaussée de Lesneven, les marguillers* s’adressent au greffe royal pour les acquérir. Les fabriques* de Tréménac’h et de Plouguerneau déboursent quelques livres pour les quatre cahiers obligatoires chaque année : les minutes et les grosses des baptêmes-mariages et, depuis 1746, des sépultures.

 

 

La paroisse de Tréménac’h versait ainsi pour quatre cahiers, 4 livres et 10 sols au titre de l’année 1792. La modicité de la somme résulte d’un format plus réduit et d’un nombre restreint de folios.

Il fallait ensuite ramener au greffe les cahiers « dans les six semaines au plus tard après l’expiration de chaque année » (article 17 de la déclaration du roi de 1736).

Ces prescriptions sont respectées : l’acheminement a lieu, en général, en janvier et, au plus tard, début février.

Les greffiers ou autres commis-jurés effectuent les vérifications d’usage, le sénéchal supervisant le tout.

Les contrôles sont le fait des autorités royales qui peuvent déclencher des visites domiciliaires à la sacristie pour se rendre compte de l’état des registres, mais également des autorités religieuses.

Les évêques étaient tenus d’assurer ou de faire assurer chaque année la visite d’une partie de leur circonscription. Ils profitaient de leur tournée, l’été, pour convoquer en un même endroit plusieurs représentants des paroisses et trèves* d’un secteur géographique donné. Les visites archidiaconales, sortes de revues préliminaires, précédaient les visites générales assurées par l’évêque lui-même ou par un vicaire général. Plougerneau eut l’honneur de telles visites à douze reprises. Les comptes des fabriques sont examinés ainsi que les registres des B.M.S. Les religieux n’ont pas dû se montrer d’une sévérité remarquable à l’encontre des desservants Plouguernéens qui dans l’ensemble rédigent les actes sans excès de zèle. A Tréménac’h, pour la période 1781-90, la tenue est nettement plus satisfaisante. La faiblesse du nombre d’actes et la personnalité des recteurs Broudin, puis Y. Le Caill, soigneux et ayant, seuls, la charge des registres expliquent cette situation. Les religieux voient dans la rédaction des actes des exercices répétitifs et rébarbatifs. La volonté d’aller au plus vite favorise l’utilisation d’abréviations (psse pour paroisse, xphe pour Christophe, et surtout le K barré : Kergadarvarn devenant Kdavarn) ou le recours aux services du bedeau qui inscrit l’acte, le prêtre se contentant de le signer. Les principaux défauts rencontrés sont les oublis de prénom, de nom, d’âge, surtout de profession (ce qui est foncièrement dommageable pour analyser la société de l’époque), des erreurs de chronologie. A noter que le prêtre qui officie au Grouaneg se déplace régulièrement à Plouguerneau pour remplir les registres par actes groupés. Un dernier problème à signaler : le mélange des registres.

Ainsi certains actes de décès se retrouvent sur le cahier des baptêmes-mariages et inversement. Ce laisser-aller pour Monsieur Le Prohon s’explique par le fait que  « la Bretagne soit plus un pays de tradition orale qu’écrite où la langue utilisée pour la tenue des papiers officiels, latin ou français n’était pas la langue quotidiennement en usage, le breton ». Mais si les omissions existent, si les défauts sont bien réels, le très grand nombre d’actes concernés par les dépouillements en démographique historique relativise les marges d’erreur.

*Bénéfices: revenus attachés à une fonction ecclésiastique et tirés des biens d’Église (dîmes, rentes).

*Marguillers : gestionnaires des biens de la paroisse.

*Fabriques : ensemble des biens d’une paroisse (le temporel), mais ne sont pas ceux du curé. C’est également l’organisme chargé de les gérer. Certaines fabriques sont riches des biens accumulés aux siècles précédents (exploitations agricoles, terres, rentes) à partir de donations ou fondations. Le procureur terrien ou gouverneur s’occupe du temporel et le fabrique est chargé des ornements sacrés, du mobilier de l’église, des affaires du roi. Ce sont des notables.

*Trèves: territoire, à l’intérieur d’une paroisse, où existe une église soumise à la conduite spirituelle d’un curé.

Sources :

Ronan Le Prohon :

– Vie et mort des Bretons sous Louis XIV (Bibliophiles de Bretagne, 1984)

Version 1 : 7 Mars 2013