Pour la période qui vous intéresse, ce sont mes parents qui étaient gardiens de ce phare et Job, c’était mon père…
Mon paternel, Joseph Kermaïdic (1884-1969) a commencé par faire la pêche avec son père. Puis , il s’est engagé dans la marine comme manoeuvrier. Je précise qu’il était également voilier. Quand il a quitté l’armée, il est venu faire la pêche à l’Aber-Wrac’h. Manifestement, il possédait déjà un bateau.
Ma mère, Marianne Léon (1896-1966) était couturière et se déplaçait chez les particuliers pour raccommoder le linge. Rapidement elle a eu une machine à coudre de marque Singer : une référence !
Ils vont se marier en 1920 à Landéda. J’ai constaté que ce jour-là, il y avait eu 5 mariages : les familles avaient fait un regroupement.
Les jeunes mariés
Ma sœur va naître sur l’île en 1926. Mon père est parti à terre en canot pour chercher le médecin. A noter la fureur de ma mère quand elle a constaté que le docteur était saoul. Mais l’accouchement s’est bien passé et, au bout d’un moment et moult palabres , mon père a pu ramener à terre le toubib .
Mon père faisait donc la pêche et ma mère s’occupait du phare. Il avait filets et casiers. En ce temps-là, les langoustes pullulaient et de gros bateaux venaient chez nous pour faire leurs marées. La plupart venaient de Mogueriec.
Sur l’île avec ma soeur
Le mareyeur de l’Aber-Wrac’h faisait fortune : il s’appelait Joseph Oulhen. Il avait un grand vivier dans le port mais rapidement celui-ci est devenu trop petit. Il décide donc de faire un autre vivier et le fait fabriquer sur un ilot prés de l’île Wrac’h. Comme il faut un gardien , il construit donc une petite maison pour l’héberger .
Comme vous pouvez le constater, cette maison est toujours debout. Pourtant elle a eu bien des ennuis. Pendant la guerre de 40, les Allemands s’en servaient de cible pour les tirs au canon. Après la guerre , elle a été restaurée.
Si, pendant les grandes marées , vous allez près de cette maison, vous apercevrez le reste des murs de l’ancien vivier . Vous pourrez en profiter pour y pêcher la crevette qui vient s’y réfugier .
Mes parents avaient donc un voisin… Bien sûr il s’ennuyait… Mes parents sont donc venus le voir… Et il les a invités à manger… Mais que manger sinon des langoustes, celles qui venaient de mourir évidemment. Comme leur hôte n’avait ni mayonnaise ni huile ni vinaigre, c’était donc la galère.
Réflexions de ma mère : » En mangeant, je fermais les yeux en me persuadant que c’était du jambon… Si encore il nous avait permis d’en amener avec nous, on aurait fait un assaisonnement. Mais il le refusait systématiquement «
Mes parents vont quitter définitivement l’île à cause de moi : J’allais naître et ma mère voulait à tout prix éviter d’accoucher sur l’île .Je vais donc venir au monde dans la maison de mes parents à l’Aber-Wrac’h ( en ode bri ) en septembre 1931. Vous en déduirez donc que j’ai actuellement 81 ans. Je fais toujours du sport, je ne fume pas, je ne bois pas et j’ai une femme adorable qui ne m’em… pas !
Avec les nouveaux gardiens , mes parents ont entretenu de bonnes relations et, quand il faisait beau, nous allions les voir pour y passer une bonne après-midi.
Un jour, nous sommes tous partis sur l’île Stagadon pour rendre visite à la famille Bellec qui y séjournait en permanence. Nous avons donc passé un bon moment et nous n’avons pas vu que le soir arrivait.
Tout à coup, un hurlement :
– Job ! il faut partir… le phare n’est pas allumé ! on a oublié l’heure.
Nous avons vite plié bagages. Mon père a lancé le moteur et nous sommes partis très rapidement. Il n’y a eu aucune conséquence à cet incident qui aurait pu être grave et il n’y a jamais eu d’échos. Formidable !
En 1940, mon père a 56 ans et est toujours en activité. Il fait donc la pêche sous le regard des Allemands qui le contrôlent en permanence. Les Affaires Maritimes vont lui demander d’assurer le ravitaillement du phare de l’île Vierge à partir de l’Aber-Wrac’h. Il y a trois gardiens Français en rotation : 2 sur l’île et 1 à terre. Mais il y a aussi un groupe d’Allemands.
Un jour , mon père est rentré à 3 heures du matin et tout le monde était inquiet. Explications : problème de voile…En voyant le regard illuminé de mon père, j’en avais déduit, peut-être à tord, que la soirée franco-germanique avait été quelque peu plaisante.
Mes parents dans leur vieillesse
A noter une période peu réjouissante : la débâcle. A ce moment beaucoup veulent partir en Angleterre. De nombreux bateaux quittent Brest et se trouvent le soir devant le port de L’Aber-Wrac’h. Ils mouillent et se reposent pour partir le lendemain de belle heure. En face c’est l’Angleterre…
On frappe à la porte, devant moi un gars en vélo : Paul Normand. Avec ses parents, il venait chez nous passer les vacances d’été. Il est venu de Brest en vélo et, tout de suite :
– Job , amène-moi en Angleterre
Mon père a tout de même une autre solution : le faire embarquer demain matin sur un des bateaux qui vont partir de belle heure. Mais rien n’y fait et Paul est obstiné : il veut partir tout de suite. Mon père va donc l’emmener.
4 ans après, on frappe à la porte . Devant moi un officier de marine avec 2 galons : c’est Paul qui cherche son père. Il a fait la guerre avec Philippe de Gaulle et arrive en France en héros : il a 20 ans.
Pour son malheur , il va rester dans une marine anti-gaulliste jusqu’au bout des ongles . Il n’a que très peu de formation militaire. On va le diriger vers l’Aéronavale comme pilote, mais c’est un échec. Il est finalement orienté vers les transmissions : une voie de garage. Alors qu’il a 3 galons, il voit que sa carrière est terminée. Il prend son pistolet et se suicide. C’était un ami.