Julien Maunoir

Le bienheureux JULIEN MAUNOIR

Ce sera lui le dernier venu parmi les petits saints de Plouguerneau. A ce propos, on se souvient de l’élection de David que la Bible raconte au premier livre de Samuel (chap. 16, w 1-13 : « Jessé fit (…) passer ses sept fils devant Samuel, mais Samuel dit à Jessé : « Le Seigneur n’a choisi aucun de ceux-là ». Samuel dit à Jessé « Les garçons sont-ils au complet ? » et celui-ci répondit : « Il reste encore le plus jeune, il fait paître le petit bétail ». Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher » …. »

« Il reste encore le plus jeune … « . Parmi les petits saints de Plouguerneau, Julien Maunoir est le plus jeune des canonisés, même pas canonisé, car il est tout juste béatifié ; il le fut le 20 mai 1951 : on a fêté l’an dernier le demi-siècle, …

Julien. Maunoir fut le grand ami, l’héritier spirituel, le zélé continuateur de dom Michel. C’est la raison pour laquelle il a sa place parmi les petits saints, aux côtés de son maître et incomparable précurseur. Julien est né le ler octobre 1606 (donc une trentaine d’années après dom Michel), à Saint-Georges-de-Reintembault, une paroisse de l’évêché de Rennes, entre Fougères et Avranches, à l’extrême limite aux confins de la Bretagne et de la Normandie. On dit qu’en 1613, étant en chaire (selon les uns, c’était à Landerneau, selon d’autres, à Douarnenez, dom Michel s’écria : « Remercions Dieu de ce qu’il m’a donné un successeur. Il a sept ans, il est du diocèse de Rennes, il sera jésuite ». Un collège de jésuites fut fondé à Rennes en 1604. Julien Maunoir en fut l’élève, de 1620 (ou 1621) à 1625. Le 16 septembre de cette même année 1625, il entre au noviciat des jésuites à Paris, pour deux années, au terme desquelles il prononce ses premiers vœux . De 1627 à 1630, il étudie la philosophie à la Flèche. Après les trois, années de philosophie, les étudiants jésuites destinés à devenir prêtres interrompaient leurs études pour faire ce qui s’appellerait de nos jours un stage : ce stage, d’une année au moins, de deux ou trois le plus souvent, consistait à devenir professeur dans !’un des nombreux collèges tenus un peu partout par les jésuites. Le Frère Maunoir fut envoyé à Quimper en septembre 1630, où on lui confia la classe de cinquième.

Fondé en 1620, le collège des jésuites de Quimper, à la rentrée de 1626, comptait déjà 960 garçons (est-il besoin de rappeler que la mixité des classes est un phénomène tout nouveau, qui n’était pas imaginable il y a 400 ans, ni même il y a 60 ans ?). Le Frère Maunoir n’était pas destiné à rester à Quimper, puisqu’il lui fallait, après son stage, étudier la théologie avant d’être ordonné prêtre. Son désir était de devenir missionnaire et, faveur suprême que Dieu accorde parfois, de subir le martyre, comme les jésuites japonais Paul Miki et ses deux compagnons, béatifiés en 1627. Mais seul le Canada est ouvert aux jésuites français : c’est là-bas que Maunoir souhaite être envoyé ; on pouvait aussi y être martyrisé, comme ce sera le cas pour ses confrères Isaac Jogues (en 1648) et Jean de Brébeuf (en 1649), béatifiés en 1925, canonisés en 1930.
Le P. Bernard était l’un des jésuites de Quimper ; c’était lui le conseiller spirituel de dom Michel qui, à l’époque, était toujours à Douarnenez depuis ses études à Agen et à Bordeaux, l’admiration de dom Michel pour les jésuites était sans bornes. Par le P. Bernard, dom Michel avait appris l’arrivée; du Frère Maunoir à Quimper … Le P. Bernard invitait instamment le nouveau professeur de cinquième à apprendre la langue bretonne pour pouvoir, une fois devenu prêtre, être affecté aux missions bretonnes auxquelles dom Michel était seul à se consacrer … Maunoir rétorquait qu’avec sa classe il n’avait pas le temps d’apprendre le breton, et que, s’il arrivait à dégager du temps, c’est plutôt la langue du Canada qu’il apprendrait, car, c’est au Canada qu’il souhaitait être envoyé …Or, un matin de novembre 1630, dès 7 heures, ayant couvert de nuit et à pied le trajet Douarnenez-Quimper, dom Michel se présente à la porte du collège des jésuites et demande; « le professeur le plus jeune » (Maunoir venait d’avoir 24 ans). L’entrevue fut brève : dom Michel se contenta de dire deux mots au jeune jésuite sur la vocation des deux apôtres frères Pierre et André. On s’embrassa et dom Michel s’en alla. Touché de cette visite, intrigué aussi, le Frère Maunoir demanda au P. Bernard ce qu’elle signifiait, et le pourquoi du rappel de la vocation des deux apôtres. « Tu dois comme eux, répliqua Bernard, les imiter dans leur promptitude lorsque le Seigneur t’appellera aux missions bretonnes »…
Ebranlé, sans être pleinement convaincu, Maunoir se rendit quelques jours plus tard en pèlerinage de dévotion à une chapelle proche de Quimper, appelée Ti Mamni Doue (« la maison de la Mère de Dieu »). Chemin faisant, il se remit à penser aux missions bretonnes. Il vit en esprit les évêchés de langue bretonne comme une terre à défricher pour y semer l’évangile. Il se pénétra de la nécessité d’apprendre le breton et, arrivé à la chapelle, il fit une prière à la Vierge en lui demandant d’être elle-même son professeur de breton. De retour au collège, il informa le P. Bernard de tout ce qui lui était arrivé dans cette étonnante après-midi : enchantement du P.. Bernard, opposition la plus vive de tous les autres confrères à ce projet « déraisonnable » d’apprendre le breton ! On s’en remit au P. Provincial de France, qui finit par trancher : la permission d’apprendre le breton arriva le dimanche de Pentecôte 1631, grande fête de l’Esprit Saint, et grande fête des langues. Quelques jours plus tard, dans les moments laissés libres par son enseignement au collège, le Fr. Maunoir faisait le catéchisme en breton dans les paroisses rurales proches de Quimper … Cette situation se prolongea jusqu’à la fin du mois d’août 1633 où, souffrant de surmenage, le Frère Maunoir fut envoyé à Tours où il devait se refaire une santé. Qu’allaient devenir les missions bretonnes ?
Dom Michel avait tenu à saluer son jeune ami jésuite, et successeur espéré, avant son départ de Quimper. Le temps passa. Julien Maunoir fut ordonné prêtre à Bourges le 6 juin 1637. Ayant consacré plusieurs années à l’apostolat des Bretons, Maunoir, dans l’année 1636, s’était cru quitte à l’égard de sa promesse. Il se remit donc à penser au Canada. En décembre de cette même année 1636, il tomba gravement malade et frôla la mort. Au moment de recevoir le viatique, sa toute dernière communion, il souhaita guérir et fit le vœu, s’il en réchappait, de consacrer le reste de ses jours au salut de la Bretagne, moyennant l’accord de ses supérieurs. Contre toute attente, le Frère Maunoir se rétablit, et en septembre 1640, il arriva à Quimper, nommé à la communauté des jésuites de cette ville, non pas pour enseigner, mais pour être affecté: aux missions bretonnes. On lui adjoignit le P. Bernard comme second, bien qu’il ne sût pas le breton. Maunoir ne devait plus quitter la Bretagne. Il allait labourer le champ du Père pendant plus de 42 années, donnant quelque 430 missions (chaque mission durait trois semaines en général), et mettant en œuvre jusqu’à sa mort (le 28 janvier 1683) toutes les intuitions de son prédécesseur, dom Michel.
Ce dernier avait quitté Douarnenez et la Cornouaille quelques temps avant l’arrivée de Maunoir à Quimper. A dire vrai., il avait été sommé par le vicaire général de quitter l’évêché de Cornouaille, et de s’en retourner dans celui de Léon, d’où il était natif. Comme on le sait, il s’établit au Conquet. Ayant appris l’arrivée du P. Maunoir à Quimper, il l’invita à venir le voir en Léon. Ce furent des retrouvailles parmi les plus chaleureuse. Maunoir passa plusieurs jours auprès de l’initiateur des missions bretonnes, et fut présenté par lui comme son successeur aux fidèles assemblés dans l’église. Dom Michel remit à Maunoir sa clochette, ses cahiers, des livres, des instructions, bref, il l’investit de toute son autorité, et avec le poids de son expérience. Celle aussi de son discernement : il y eut des mises en garde, des conseils précis. Comme Elie jetant son manteau sur Elisée , dom Michel fit de Julien Maunoir « le fils de son esprit »… Après une mission à Douarnenez, le P. Maunoir revint en faire une à Ouessant et à Molène …Il semble qu’il se rendit au Conquet auprès de son vieux maître aussi souvent lorsque l’occasion s’en présentait, lorsque, par exemple, il donnait des missions dans le Bas.-Léon …
Dom Michel vieillissant conserve son âme de feu. Mais son corps auquel il a trop demandé n’obéit plus que bien mal à la volonté qui l’habite. Le vieux missionnaire, atteint depuis longtemps de la maladie de Parkinson, tombe en complète paralysie le jour de ses 74 ans. Le printemps 1652 arriva, et le temps pascal. La fin était proche. Dom Michel eut la consolation d’avoir près de lui sorti fils spirituel : Julien Maunoir, âgé alors de 45 ans, était dans la pleine force de son âge. Croyant dom Michel rétabli et sur les instances du vieillard, le P. Maunoir repartit pour la mission qu’il donnait en Cornouaille. Il revint à temps pour donner à son maître vénéré une dernière absolution et lui tenir le crucifix posé sur les lèvres le dimanche 5 mai 1652, dom Michel quitta ce monde, pleuré de tous et en particulier du plus chéri de ses enfants spirituel Julien Maunoir qui présida les funérailles dans l’église tréviale de Lochrist, le mardi 7, avant-veille de l’Ascension.
Dom Michel fut pour le P. Maunoir, dans les 31 années de vie où il survécut à son vieux maître, une présence discrète et invisible à ses côtés, autant qu’un intercesseur dans le ciel. En 1675, il passait par Meilars, paroisse proche de Douarnenez où dom Michel avait résidé quelques mois comme recteur. Le P. Maunoir et l’ami prêtre qui voyageait avec lui arrivèrent près de la. chapelle N.D. de Confort, qui est sur le territoire de Meilars. Selon la relation d’un gentilhomme longtemps homme de guerre et partant peu crédule, les deux prêtres virent apparaître devant eux dom Michel revêtu du surplis ; bientôt ils virent la Vierge elle-même, et dom Michel à genoux auprès d’elle. Dom Michel présenta le P. Maunoir à la Vierge, qui le regarda avec bonté et le bénit. Puis la vision disparut. Jeux de l’imagination, de la mémoire (dom Michel avait été recteur à Meilars), vision intérieure, apparition réelle ? Toujours est-il que le souvenir de dom Michel hantait le P. Maunoir, l’habitait comme une aide, un ressort, une force. Il s’adressait à lui dans les prières qu’il formulait dans le secret de son cœur .
A la fin de janvier 1683, le P. Maunoir achevait lui aussi sa course terrestre. Il voulut mourir « sur les terres de saint Corentin », c’est-à-dire en Cornouaille. Aussi quitta-t-il assez précipitamment Bourbriac, qui était en l’évêché de Tréguier, pour arriver finalement à, Plévin (actuellement dans les Côtes-d’Armor, mais en Cornouaille tout de même), où le recteur l »accueillit dans son presbytère. Le 27 janvier, la veille de sa mort, il parut délirer : par deux fois, s’adressant à ceux qui l’entouraient, il leur dit : « Donnez une chaise à M. Le Nobletz ». Voyait-il dom Michel près de son lit de mort, comme lui-même avait été près du sien 31 ans auparavant ?

Texte de Fañch Morvannou