Kergadavarn, le 28 02 2019 (André Nicolas, Jean-Pierre Hirrien).
En 2018, les sociétés de ménage en Léon ont fait l’objet d’une étude qui puisait ses racines dans un fonds documentaire provenant de ma famille domiciliée à Sibiril. Il était tentant de creuser le sujet en se référant à Plouguerneau. Sollicité, André Nicolas, membre de PHA et infatigable chercheur sur l’histoire de notre commune, m’a communiqué deux documents qui permettent de renforcer l’analyse initiale.
Le premier document date de février 1804.
Goulven Anthon et sa femme (une Paul ?), Yves Paul et Marie-Anne Anthon, Jean Paul et Anne Anthon, décident de créer une société de ménage par tiers pour vivre et demeurer ensemble au lieu-dit Lannebeur en Plouguerneau.
L’accord concerne donc les familles Paul et Anthon. Goulven Anthon et son épouse cèdent et vendent aux dits Yves Paul et Jean Paul et leurs femmes (des Anthon, peut-être les filles de Goulven et de sa femme) les 2/3 de leur ménage pour la somme de 4800 francs. Mais comme Goulven Anthon « passe acompte comme dot » de la somme de 3000 francs (1500 francs pour chaque couple) les nouveaux associés ne doivent plus que 1800 francs pour la jouissance des 2/3 de la ferme & terres (soit 900 francs chacun). La communauté de ménage est fixée pour une durée de neuf ans et débute le 8 vendémiaire 1804 (le 30 09 1804). Un premier versement de 360 francs par an est fixé à la même date. Il est précisé qu’en cas de décès d’un membre du couple G. Anthon, le survivant garde ses droits d’un tiers. En fin de société les tiers (biens et terres) acquis demeurent à leurs propriétaires.
G. Anthon et sa femme travaillent également (en fermage ?) une autre exploitation appartenant à Kmené ( ?). Si les nouveaux associés le désirent, ils pourront les rejoindre aux mêmes conditions et en payant le bail aux 2/3.
Parmi les obligations des nouveaux arrivants on signalera leur participation pour 2 /3 à la taxe foncière et autres obligations, l’entretien des logements de ferme, les charrois, la nourriture, l’hébergement des artisans intervenant pour travaux dans l’exploitation agricole.
G. Anthon et son épouse ainsi que les deux autres couples se réservent certains biens personnels qui n’entrent pas en commun dans la société de ménage (des meubles : lits-clos, huches, armoires, tables ; de la literie, des draps mortuaires sans doute de famille ; de la vaisselle en étain ou argent).
Le second document, daté du 14 janvier 1830, implique à nouveau Jean Paul veuf d’Anne Anthon (citée en 1804) ainsi que François-Marie Rucard et Marie-Françoise Paul sa femme. La famille Paul ne s’associe plus avec celle des Anthon mais celle des Rucard. Les autres membres de la première société de ménage n’apparaissent plus dans le contrat (décès ou rupture de l’accord en sont les explications). Les trois membres de la société demeurent ensemble au terroir de Lannebeur, quartier de Gorrebloué, commune de Plouguerneau. « L’exploitation agricole » de départ est donc pérennisée au même lieu qu’en 1804, ce qui constitue l’un des points forts des sociétés de ménage.
Les membres « veulent et désirent vivre ensemble en société de ménage à Lannebeur, maneuvrements, jouissance, droits de fermier « Ledit Jean Paul, beau-père et père, déclare par le « présent vendre, céder & transporter de ce jour et pour toujours à jamais la moitié de son ménage manoeuvrements, jouissance et droits de fermiers aux dits François-Marie Rucard & Marie-Françoise Paul pour eux et leurs hoirs (héritiers directs) successeurs en les subrogeant dans la moitié de la jouissance de la ferme de Lannebeur ». La vente et subrogration (substitution juridique d’une personne, ici des mineurs) sont faites entre les deux parties moyennant la somme de 2319 francs. Un surplus de 519 francs (pourquoi ?) sera réglé en trois termes égaux par F-M Rucard et M-F Paul à Jean Paul (échelonnés sur 12 ans). Jean Paul laisse à son gendre et à sa fille 900 francs en dot d’hoirie déduite de la somme totale (2319 francs), à valoir à la succession d’Anne Anthon (sans doute décédée depuis peu). Le couple entrant pour moitié dans la société de ménage et Jean Paul pour l’autre moitié, les premiers doivent acquitter en outre chaque année à Jean Paul 150 francs (premier versement au 29 09 1830) et pour 9 ans durant la durée de la société ainsi que la moitié de la contribution foncière. De plus, les diverses réparations (dont les toitures et les couvertures des maisons), l’entretien des fossés incombent aux deux parties. Tous participeront et jouiront dans la proportion, des pertes, des bénéfices, des frais, dépenses, et des mises.
La dissolution de la société sera partageable à ladite proportion.
A noter que le couple Rucard/Paul, comme en 1804, se réserve hors société deux armoires et autres gros meubles (tables, lits, bancs, huches, coffres vaisseliers, autres armoires) ainsi que des couettes, traversins, couverts d’argent, draps mortuaires, nappes. Jean Paul, adopte la même attitude pour des draps mortuaires et des nappes.
Ollivier Colin procureur des droits certifie l’authenticité du contrat.
Les dispositions retenues par les membres de ces deux sociétés de ménage, chronologiquement antérieures à celles présentées dans notre premier article sont du même ordre. On rappellera le désir d’association de deux familles afin de garder des biens acquis de génération en génération, la vente au 2/3 ou à moitié des biens existants aux couples plus jeunes et à des prix alléchants et allégés par la déduction de dots, la participation commune aux bénéfices et aux dépenses, aux déficits, et aux travaux. Certains biens à valeurs sentimentales sont exclus de la société de ménage (meubles, argenterie, linge).