Les Trésors de Tolente


LES TRÉSORS DE TOLENTE
 

« Les hommes ont longtemps reconnu ce rivage
Rêvé d’un âge d’or au dessus de ces eaux
O mer, ne reste-t-il que sable sur le sable pour écrire l’Histoire ?
O mer, sauvée des fables, quelle écume à nos pieds se souvient du chaos ? »
(Charles Le Quintrec)

Tout le monde en Bretagne connaît la légende de la ville d’Is, la ville du roi Gradlon engloutie près de Douarnenez par la faute de sa fille Dahud. Mais beaucoup moins de gens sans doute connaissent la légende de la ville de Tolente, elle aussi engloutie par les flots au moment où, sur le rivage breton, les côtes ont fortement reculé.

Dans la littérature bretonne on trouve de nombreuses allusions à cette ville engloutie, même si les différentes versions varient beaucoup d’un auteur à l’autre, tant sur la localisation de la ville que sur la période de sa disparition et même sur son nom.

L’un des ouvrages où l’on retrouve le plus d’allusions à cette ville de Tolente est le recueil « Les vies des Saints de la Bretagne-Armorique » du Frère Albert Le Grand qui comporte aussi de nombreuses notes de Miorcec de Kerdanet. (Edité en 1837).

Ce recueil de 830 pages que nous possédons comporte aussi des notes manuscrites de son premier propriétaire, René Abjean, maire de Plouguerneau de 1919 à 1941.

Pour situer cette ville de Tolente, les notes sur la vie de Saint Pol exposent longuement une notice sur le pays d’Ac’h ou d’Aginense, cette côte du Léon qui s’étendait sur les rivages de l’Océan depuis le village de Tremenac’h, dont le nom signifie passage en Ac’h, jusqu’au fameux promontoire de St. Mathieu-du-Bout-du-Monde.

Le pays d’Aginense avait pour capitale l’antique ville de Tolente, célèbre par la grandeur de son enceinte, la force de ses remparts et la beauté de son port. Elle était située à l’entrée de la baie des Anges, non loin du fort Cézon et c’est delà qu’elle faisait partir ses vaisseaux pour toutes les parties de la terre…

 

 

Selon René Abjean « l’emplacement de Tolente serait aux environs du plateau de Lez-Hent que domine l’ilot rocheux nommé Castel-Hent, entre l’île Vierge et l’île Stagadon, mais plus au sud-ouest dans les parages du Libenter. Les pêcheurs de la côte prétendent qu’on aperçoit à cet endroit au fond de l’eau à marée basse des ruines imposantes d’édifices construits. »

« Au-delà de l’île de Léac’h-Ven, dans la direction de l’île Stagadon (en breton Stagaden), à marée basse on découvre, émergeant parfois au dessus des sables, des vestiges et des bancs de pierre qui ont pu servir aux constructions de remparts ou de quais ; ces pierres conservent un alignement se poursuivant de roches en roches. » (R.A.)

La plupart des auteurs s’accordent pour situer Tolente sur la rive droite de l’Aber Wrac’h même si d’autres hypothèses la placent parfois dans… l’Aber-Benoit.

 

 

Selon plusieurs auteurs, cette ville de Tolente était située à l’entrée de la baie des Anges, sur la rive droite de l’Aberwrac’h, à l’opposé du site de fort-Cézon. Une voie romaine y conduisait d’OCCISMOR. Cette voie romaine semble être celle qui mène du Folgoët à Plouguerneau, car sur cette voie on a découvert des vestiges romains, notamment sur les bords de l’étang de Penmarc’h. Mais surtout on y a trouvé deux colonnes miliaires près du Grouanec : l’une près du grand Grouanec, l’autre vis-à-vis du village de Kerscao en Kernilis. Cette dernière, qui est actuellement au musée départemental de Quimper, fait 1,90 m de hauteur, 2,20 m de ciconférence, environ 70 cm de diamètre à la base, 55 cm au sommet. Elle porte une inscription qui fait allusion au souverain romain Tiberius Claudius et indique la distance de Mille Pas d’itinéraire vers l’agglomération portuaire de Vorgium ou de Vorganium. Mais la ville de Vorganium serait plutôt la capitale des Osismes qui aurait été Carhaix. Par contre la ville portuaire indiquée serait peut-être Gesocribate., à l’embouchure de l’Aberwrac’h, encore mentionné au IVème siècle de notre ère et qui semble avoir été le grand port de l’étain au moins du Vème siècle avant notre ère jusqu’au IIème siècle de notre ère. Le Cezocribate des anciens voudrait dire promontoire, de Cézo (cap) et Cribat (sommet). Certains font le rapprochement de ce nom avec le Fort Cézon, qui nous ramène évidemment dans l’Aber-Wrac’h.

 

 

Selon certains auteurs ce serait les Bretons, venus d’Outre Manche au Vème siècle de notre ère qui auraient appelé Tolente ce que les Gallo-Romains avaient appelé Gesocribate. Alors, Gesocribate, Tolente ou Vorganium ?

Mais qui habitait cette ville de Tolente avant son engloutissement ou sa destruction ? De nombreuses notes nous donnent quelques informations parfois contradictoires sur son histoire :

En 106 de notre ère, TOLENTE était un port militaire romain de 30 000 habitants et son port contenait trois cents barques appelées trirèmes ou à trois rangs de rames. (Bibliothèque de Versailles).

La ville de Tolente a été ravagée et détruite par les pirates normands vers l’an 878. Vers 1100 des tremblements de terre disloquèrent l’emplacement de la ville qui fut envahi par la mer. (note sans indication de provenance).

Ou encore selon les notes d’Alain Bouchard :

Tolente était une grande ville qui eut aussi ses monarques, quand ils étaient à bon marché. Entre autres on cite ici le roi Ingonus et le prince Jubal, son fils. Ce dernier arrêta le tyran Maxime à son passage en Armorique, l’an 383, et lui livra une bataille sanglante dans laquelle il perdit, dit-on, 15 000 hommes et la vie. Cette bataille se donna dans le pays d’Aginense, aujourd’hui le Bas-Léon…

Le plus étonnant dans les notes de différents auteurs est d’affecter comme dernier roi de Tolente, Ban de Benoit, ami du roi Arthur :

Après Ingonus et Jubal, vint le roi Ban de Benoïc :«  Ce prince avait pour frère et pour appuiLe roi Boort, qui régnait près de lui ;Et tous les deux, dans la paix, dans la guerre,Amis du roi qui d’Artur fut le pèreSurent longtemps arrêter les desseinsDu roi Claudas, grand ami des Romains »
Cette présence de l’ami du Roi Arthur n’est pas sans conséquence car Ban de Benoit n’est autre que le père de Lancelot du Lac, le chevalier tant célèbre des Romans de la Table Ronde, l’amant de la Reine Guenièvre, épouse du Roi Arthur ! Signalons seulement que cette assertion de l’origine armoricaine, voire léonarde, de Lancelot est même confirmée par les Britanniques qui ont pourtant récupéré chez eux l’essentiel des personnages et des lieux des légendes de la Table Ronde.  Mais le roi Ban, vaincu dans deux ou trois combats, se vit contraint d’abandonner Tolente, sa capitale, et de se réfugier dans « ung sien chastel qui avait nom DOURIC, lequel estoit l’autre chef de sa terre, si fort, qu’il ne redoubtait alors mille chose, fors famine.   Certains auteurs signalent que le roi Ban se serait réfugié au Diouris, à moins que ce ne soit, pour d’autres, le site de Touris, la balise (Turris : tour en bois, observatoire), situé lui aussi en bordure du chenal l’Aber-Wrac’h. D’autres prétendent que le domaine de Ban de Benoit se situait plutôt dans l’Aber-Benoit, d’où son nom. Cette hypothèse a été réconfortée chez ses partisans il y a quelques années par la découverte du collier dit de la Reine de Tréglonou au fond de l’Aber-Benoit…  Alors, Lancelot du Lac était-il né à Plouguerneau ?  Bien sûr, toutes ces histoires s’apparentent plus à la Légende qu’à l’Histoire, mais il est évident que la plus part des légendes ont souvent un fond de vérité, alors pourquoi laisserait-on les Britanniques récupérer tous ces Trésors de Tolente ?

René Abjean – Novembre 2015