Apôtre de la Basse Bretagne
« Ar vuhez am’ eüs-me choaset A so catechisa ar bet Ar vuhez eüs an ebestel, Mignonet hor roüe coelestiel. » « Lucifer â so arraget Och va guelet ho vale dre-r’bet Da viret och an eneou Da d’aint oll d’an Iffernou. » « La vie que j’ai choisie Est de catéchiser le monde, La vie des Apôtres, Amis de notre roi céleste. » « Lucifer enrage En me voyant parcourir le monde Pour empêcher les âmes D’aller en enfer. » Cantique de M. le Nobletz Ces quelques vers résument assez bien le but poursuivi par le Vénérable Dom Michel le Nobletz quand il évangélisait la Basse Bretagne, précurseur en cela du 17ème siècle qui a vu un immense élan missionnaire traverser l’Eglise Catholique en France. La Bretagne de cette époque, secouée par les récentes guerres de religion, était dévastée et connaissait la misère . Mais la foi n’avait pas disparu ; encore fallait-il ranimer la flamme et c’est à cette œuvre que le plus illustre des enfants de Plouguerneau a consacré sa vie entière. Il est remarquable de noter que l’ordre des lazaristes qui organisera cette idée missionnaire ne sera fondée qu’en 1625 ; Michel le Nobletz est bien, historiquement, le précurseur de Saint Vincent de Paul. |
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Dom Michel est né le 29 septembre 1577 à Kéroudern, en Plouguerneau, quatrième enfant d’une famille qui en compte onze. Son père est notaire royal, ce qui confère à la maisonnée une certaine aisance. Dès son enfance, Michel a senti en lui le désir de servir Dieu et ses frères. On a souvent dit que tout jeune il allait prier la Vierge Marie dans la chapelle voisine du manoir de ses parents.
Après de solides études de philosophie et de théologie à Agen et à Bordeaux, il revient en 1606 à Kéroudern et s’entraîne à l’ascétisme. Il refuse un poste honorifique qui lui est proposé par l’évêque du Léon et doit quitter la maison paternelle. Il gagne alors la Sorbonne et il est ordonné prêtre en 1607.
De retour en Bretagne, il passe une longue année à Trémenach , à quelques kilomètres de sa famille, dans une cabane qu’il a construite de ses mains et qui lui sert d’ermitage. Il vit de la charité du voisinage. Au cours de cette année de réflexion et de prière, il a enraciné profondément en lui les engagements missionnaires qui se concrétiseront au long de sa vie. C’est à l’emplacement de cet ermitage qu’a été construite en 1889 la chapelle Saint Michel.
En 1608, Dom Michel se rend chez les dominicains à Morlaix mais se fait chasser 6 mois après car il a déchiré le portrait d’une bienfaitrice de l’ordre qui se trouvait en bonne place à l’entrée du monastère. Son zèle jugé excessif et son caractère irritable lui mettent à dos le clergé local. En désespoir de cause, l’évêque de Tréguier qui lui porte une certaine estime lui confie le rôle de missionnaire itinérant dans le bas Trégor où il séjourne deux ans.
En 1611, on le trouve au Conquet d’où il part évangéliser les îles, Molène, Ouessant, Batz . Il y fait merveille alors qu’au Conquet, aussi bien à Lochrist qu’à Landerneau, sa prédication laisse la population assez indifférente. En 1614, il part pour la Cornouaille et se fixe, en 1617, à Douarnenez. Mais en 1639, saisi de réclamations de certains prêtres du cru, l’évêque lui demande de quitter la région . Sans protester, il embarque pour le Conquet pour poursuivre sans relâche sa mission de prédication et d’enseignement. Mais sa santé décline et il se retire dans une petite maison où il continue cependant à enseigner le catéchisme à de petits enfants.
Il meurt le 5 mai 1652. Après sa mort , on lui a attribué de nombreux miracles et son tombeau est resté pendant longtemps un lieu de pèlerinage. Dom Michel, prêtre non conformiste qu’on a appelé parfois « ar beleg foll »( le prêtre fou) a toujours été un défenseur ardent et intransigeant des malheureux. Il lutta toute sa vie contre l’ignorance et la superstition. Il a toujours, avec vigueur, dénoncé toutes les hypocrisies, l’attachement à la richesse et aux plaisirs de ce monde. Il avait la phobie du « mondain », de celui qui préfère la vie d’ ici-bas à la vie éternelle. Ses disciples, les pères Maunoir et de Montfort suivront son exemple. De même, il a su former de solides équipes de catéchistes qui ont poursuivi son œuvre. Il a montré aussi sa modernité en associant des femmes à l’enseignement du catéchisme.
Dans sa jeunesse, il avait fabriqué des cartes marines où il signalait les écueils à éviter dans la navigation vers Dieu. Plus tard, au cours de ses nombreuses missions, il a popularisé , avec un sens inné de l’image, des représentations peintes et imagées qui parlaient aux analphabètes. Le principe des Taolennou restera en usage jusqu’au milieu du 19ème siècle. Selaouom an Noblez ( écoutons le Nobletz ) :
« O veza ma ne hell ar re n’ouzont ket lenn deski kerkoulz dindan eñvor nemed dre livaduriou e vefe, eo talvouduz, a gav din, diskouez dre livaduriou ar poeñchou a ranker derhel an tosta dezo » ( pour autant que les gens qui ne savent lire ne peuvent s’ instruire par cœur si bien que par la peinture, il me semble expédient de représenter en peinture les points nécessaires).
Ou encore : « War an daolenn- mañ eh eo livet buhez an den, an dañjeriou e-neus da ziwall diouto, ar vertuziou e-neus da bleustri warno, evid erruoud e porz ar vuhez peurbaduz » ( on vous représente dans ce tableau la vie de l’homme, les dangers qu’il doit éviter et les vertus qu’il lui faut pratiquer pour arriver au port de la vie éternelle).
Le procès en béatification de Dom Michel le Nobletz a été ouvert en 1701. Cette année là, l’évêque du Léon fit placer les restes du saint prêtre dans un sarcophage en plomb portant une longue inscription disant notamment : « Cy-git le corps du noble et vénérable Michel le Nobletz d’heureuse mémoire, en son vivant prêtre et missionnaire aspotolique de la Basse Bretagne, lequel mourut au Conquet en odeur de sainteté le 5 mai 1652, âgé de soixante quinze ans »
Long procès en vérité ! Dom Michel n’ a été déclaré vénérable que le 6 avril 1897. La deuxième étape de ce procès a été la proclamation de l’héroïcité de ses vertus le 14 décembre 1913. La troisième étape exige la reconnaissance de l’authenticité d’au moins deux miracles.
Dom Michel avait depuis longtemps déjà rédigé son testament spirituel à l’intention de ses fidèles de Douarnenez.Il voulut aussi faire un testament à l’usage de ses parents et héritiers. Mort pauvre, comme il avait vécu, il leur a légué avec humour et ironie « un beau rien dans un coffre ».
On lira avec plaisir le texte de ce testament, daté de 1651, en devinant « la malice qui s’allumait dans ses yeux et le sourire qui s’esquissait dans sa barbe » en dictant ses dernières volontés à un secrétaire bénévole. Mais au delà de l’humour, parfois féroce, ce texte reflète bien tout le sens que Dom Michel donnait à la vie terrestre et à la vie éternelle. Dieu a créé notre monde à partir de rien et Dom Michel lègue ce rien, qui est la vraie richesse du pauvre, à des héritiers qui ne l’ont pas aidé à vivre sa vocation. La possession des richesses et des biens de ce monde est le pire ennemi du salut.
Texte de Noël L’Hour
Un Adieu et congé que prend Monsieur le Nobletz de Messieurs ses parents et héritiers.
« Messieurs et parents, l’humble salut vous soit donné de ma part en Jésus Christ, comme prenant mon dernier congé, en concorde d’avec vous et d’avec tous mes amis. Mais pour y parvenir, je vous dirai, par ces lignes, que vous avez trouvé le lieu où il y a plusieurs richesses, grâce à Dieu, parlant de mon coffre. Mais vous devez vous réjouir de ce qu’elles n’y sont plus, parce que je m’en suis servi pour soulager ma pauvre vie.
Vous savez que notre Dieu a créé ce beau monde sur un fondement qui s’appelle : rien. En cette considération, j’ai voulu vous laisser, par mon testament, ce beau rien dans un coffre, en espérant que vous en pourriez tirer plus de profit et de gain que si je vous avais laissé quelque trésor d’or ou d’argent et autres biens de ce monde qui sont les plus dangereux ennemis de notre salut. Par conséquent, je vous laisse ce beau rien à partager également entre vous, afin que l’un de vous en puisse avoir autant que l’autre, sans aucun priseur ni estimateur, pour éviter les frais, et je vous donne avis que ce beau rien est grandement chéri, et est si noble et si puissant qu’il n’y aura jamais procès ni discorde pour lui.
C’est l’amitié que je vous porte et que je dois porter à Notre-Seigneur Jésus-Christ qui m’a fait vivre d’une manière extraordinaire aux mondains, pour vous laisser ce précieux joyau que j’ai acquis de mon trafic en ce monde.
Ce rien est propre pour les doctes et pour les ignorants, parce qu’il n’y a mot en toute la grammaire si facile à décliner que ce beau rien qui se décline ainsi. Nihil, nihil per omnes casus ; c’est à dire : rien, rien pour tout cas, rien pour tout partage. Ce beau rien vous retirera de la tyrannie d’un greffier et de la patte d’un sergent, qui vous eussent contraints d’inventorier tous mes biens, pour parvenir à l’inventaire de vos bourses.
C’est pourquoi je vous supplie d’avoir souvenance du salut d’une pauvre âme laquelle je recommande à vos bonnes prières et plus que si je vous avais laissé de grands biens. Car, pour lors, vous eussiez été étroitement obligés à cause de mes biens ; mais vous mériterez davantage, priant Dieu pour moi par pure charité, et non à cause de mes biens, mais priant fraternellement et charitablement. Car il n’est pas honnête d’aimer le parent comme le chien aime l’os, à cause de la chair qu’il y trouve à ronger, mais aimer le parent et ami, sans en désirer récompense, et en laisser la rétribution au bon Dieu, qui ne laisse aucun bien sans guerdon. O, rien, rien, lequel fait riche le pauvre, puisque la pauvreté est la vraie richesse quand on l’embrasse de bon cœur.
L’on dit : ex nihilo, nihil fit. Je vous dis contra quae : ex nihilo omnia fiunt.
L’on dit encore que la consolation de plusieurs malades est rien, comme par exemple : si quelqu’un est bien malade et a perdu l’appétit, on lui demandera : vous plait-il manger de ceci ou de cela, ou boire ceci ou cela ? Le malade incontinent répond : nenny. Et, si on lui demande : que mangerez-vous et que boirez-vous pour vous sustenter et soulager en votre maladie ? Il répliquera sur le lieu : rien du monde, et par conséquent, ce beau rien le contente plus que toute autre chose qu’on puisse lui donner.
C’est pourquoi, considérant que quelques uns de vous mes héritiers, êtes malades du désir d’avoir de moi ce que je ne puis vous donner, je vous laisse pour soulagement de votre maladie ce précieux médicament : rien. Ce qui est cause que je ne vous laisse que ce beau rien pour toute ma succession, c’est qu’ en toute ma vieillesse je ne me suis adonné à aucun gain ni trafic. Et, quant à mon revenu, comme vous le savez, il était trop petit pour m’entretenir et subvenir aux accidents qui me sont advenus. Ce qui a été cause qu’il m’a été besoin d’avoir recours à l’assistance de mes amis. Car, pour mes parents, ils ne m’ont pas subvenu entièrement pour vivre selon ma vocation, encore que quelqu’un d’eux m’ait fait la charité. Mais, ceux de qui j’en ai reçu le plus, ç’a été de quelques bonnes femmes dévotes, qui m’ont beaucoup assisté. C’est pourquoi je suis bien obligé de prier Dieu pro devoto femineo sexu.
Je vous dis toutes ces choses pour vous ôter hors de peine, vous suppliant d’avoir soin du salut de mon âme, par vos bonnes prières, encore que je ne vous laisse rien ; vous assurant de ma part que je prierai le Souverain Législateur et auteur de tous biens, de vous consoler de ses saintes et abondantes bénédictions.
Adieu.
M. Le Nobletz, prêtre »