Naître à Plouguerneau dans la seconde moitié du XVIIIe Siécle

NAÎTRE À PLOUGUERNEAU DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE

Conformément à l’enseignement de l’église, la finalité du mariage est la procréation. Dans nos sociétés la dénatalité est régulièrement évoquée alors qu’au XVIIIe siècle la situation diffère profondément. Les populations d’Ancien Régime connaissent des taux de natalité élevés. Leurs comportements dans les pratiques procréatrices obéissent à des individus en phase avec la nature et à son exploitation, ou assujettis au calendrier religieux.

1) LES SOURCES : LES REGISTRES PAROISSIAUX.

« Claude-Marie fils légitime de Messire Louis-Marie-Raymond de Poulpiquet seigneur de Brescanvel fils ainé et héritier principal et noble de messire François de Poulpiquet seigneur du dit lieu et de dame Marie-Perrine Denys fille ainée et principale héritière de la maison de Lesmel né le 2 octobre 1757, fût baptisé le lendemain ». Suivent les noms du parrain : « Messire Claude-Marie-Charles Denys de Lesmel grand oncle paternel du baptisé, sieur recteur de Plouguerneau  » et de la marraine : « Anne-Marie-Jeanne Symon la grand-mère » qui signent, tout comme le père et le grand-père. Cet extrait restitue fidèlement l’état civil du petit de Poulpiquet : il comprend les prénoms, les noms du père et de la mère, le lieu de résidence, la date de naissance et celle du baptême. Le parrain et la marraine sont obligatoirement mentionnés. Viennent ensuite les signatures, tout au moins pour la partie la plus instruite de l’assistance.

Certaines précisions sont notées épisodiquement : l’illégitimité (enfant naturel ou illégitime) l’absence du père, retenu pour ses affaires, l’origine géographique de la maman qui accouche à Plouguerneau sans y résider habituellement. Deux cas de baptêmes exceptionnels sont également à signaler : celui de cloches, à Tréménac’h en novembre 1788, à Plouguerneau en octobre 1789, et celui, le 31 mai 1788, « d’un jeune garçon âgé d’environ 20 ans, venu d’un pays inconnu, privé de l’usage de la raison et de la parole qui est baptisé avec l’eau lustrale sous condition ».

Les bébés qui décèdent à la naissance sans être officiellement baptisés figurent non pas dans les registres des baptêmes mais dans ceux des sépultures. Ils reçoivent le qualificatif « d’ondoyés décédés » ou « d’ondoyés à la maison » comme « l’anonyme » de Charles Breton et d’Anne Pallier, de Kergoff, en octobre 1784, qui a sûrement témoigné quelques velléités de vie. Par contre, le 18 avril 1784, « les deux enfants posthumes nés du mariage légitime entre feu François Balcon et Anne Gourvennoc, de Tréménac’h, sont nés et morts sans baptême ». L’ondoiement* est pratiqué par une personne n’appartenant pas au clergé, en général la matrone*, en cas de péril de mort. Le souci de baptiser les bébés peut d’ailleurs aller jusqu’à ondoyer des mort-nés. Par la suite, l’ondoyé- rescapé subit son baptême classique.

Les enfants nobles bénéficient d’un traitement de faveur en matière d’ondoiement, « avec permission expresse » de l’évêque, pour regrouper la parentèle dispersée en vue de la cérémonie officielle à laquelle on désire donner un lustre exceptionnel. Ainsi Anne-Louise-Marie de Kervern « ondoyée en cette église il y a environ 7 mois a été présentée ce jour 5 février 1762 pour lui suppléer les cérémonies du sacrement de baptême et y être nommée et tenue baptisée ».

L’avantage de différer le baptême est indéniable pour le nourrisson qui évite ainsi d’être exposé inutilement par mauvais temps. Les ondoyés, à Plouguerneau, pendant la période considérée, sont peu nombreux.


2) LE BAPTÊME.

Il a lieu très rapidement : le jour même de la naissance ou au plus tard le lendemain.



Cet empressement répond à deux préoccupations : dans un Léon profondément catholique l’enfant est libéré du péché originel et entre ainsi dans la communauté des chrétiens. De plus, les parents redoutent que l’enfant expire à la naissance sans avoir reçu le baptême, et ne puisse obtenir une sépulture en terre consacrée. Le petit corps sans vie est alors inhumé « dans le lieu destiné à de telles sépultures ».

Le père, le parrain, la marraine et un public plus ou moins étoffé selon le rang social assistent à la cérémonie. Le parrain et la marraine jouent un rôle primordial dans la vie du petit paroissien. Ils lui donnent leur protection affective mais sont également responsables de la fidélité religieuse du nourrisson. Le parrainage crée un véritable lien de parenté : elle est spirituelle, unit parrain et marraine au filleul, à son père et à sa mère. Si l’un des membres du premier niveau aspire à épouser une personne du second niveau ou réciproquement il est obligatoire d’obtenir une dispense auprès des autorités ecclésiastiques.

Le parrain offre la culotte au petit ou la cotte s’il s’agit d’une fille. Pour la communion il fournit le chapelet et la « commère », la marraine, le cierge. Quand le filleul se marie, ils se chargent des entremets, une immense galette, du repas de noce. A ce stade, leur mission prend fin.

Le parrainage resserre les liens familiaux, entrecroisant les frères, soeurs, cousins, grands-parents.


Un baptême à Nantes – Photo : W. Schellinikx.
La représentation d’un baptême est rare. Ce document, extrait de Bretagne Magazine d’octobre 2009, d’après A. Croix, présente un cortège de baptême, en 1646, à Nantes. Des jumeaux viennent d’être baptisés et le cortège s’organise : musiciens, sage-femme transportant la salière, une serviette et une cuvette, parrains portant les deux garçons dans leurs langes, père, amis et proches se succèdent. Les femmes sont reléguées à l’arrière de la « troupe ». Ce genre de cérémonie donne lieu à des réjouissances souvent suivies par toute une faune d’individus excités par les libations d’avant et bientôt d’après le baptême.

Il est pourtant de bon ton d’élargir le champ d’investigation aux notables : prêtres, honorables hommes, maîtres, procureurs et nobles. Ainsi Messire Charles-René de Kervern capitaine du détachement de la paroisse est à trois reprises parrain en 1757 à Plouguerneau. Les rares enfants honorés par ces adultes de situation supérieure à celle de leur famille reçoivent peu d’avantages matériels de leur illustre parrain dont ils n’héritent que du prénom.

La cérémonie religieuse achevée, l’assistance se rend à l’auberge pour le repas de baptême



Très vite l’ambiance s’enflamme car on force sur la dive bouteille



La maman, considérée comme impure, doit attendre la cérémonie des relevailles, une bénédiction ou une messe, pour réintégrer la communauté villageoise et reprendre ses activités.


3) UNE POPULATION FÉCONDE.

Les taux de natalité à Plouguerneau et à Tréménac’h se fixent entre 38 et 39 °/°°. Le fait de retenir les mort-nés et les ondoyés porte le taux à 40,6 °/°°. Ces chiffres extrêmement élevés se retrouvent régulièrement en Bretagne.

Le nombre d’enfants par famille s’établit 4,3 enfants et à nouveau Plouguerneau s’aligne sur les autres paroisses de la province.



La quasi absence de contraception à l’époque aurait dû engendrer un nombre plus substantiel d’enfants par famille. Mais il faut tenir compte d’un âge tardif au mariage et d’une ménopause précoce qui limitent l’importance des familles. Quant à l’allaitement maternel il rend momentanément stérile trois femmes sur quatre chez qui il déclenche une aménorrhée * provisoire. De plus, certains tabous sexuels entravent les rapports entre époux durant la période d’allaitement. Comme la durée de celui-ci est d’environ deux ans cela implique la quasi impossibilité d’engendrer un bébé à ce moment là. A l’inverse, si le nourrisson meurt en bas âge la mère se retrouve rapidement enceinte. A Plouguerneau une mortalité infantile conséquente, qui s’accroît lors des épidémies expliquerait la fécondité élevée des femmes et même la progression des naissances.

Deux autres éléments interviennent également pour contrarier les possibilités théoriques d’enfanter : la stérilité et la mort d’un des conjoints. Certains couples sont stériles naturellement, mais une proportion notable de femmes le devient précocement à la suite des conditions d’accouchement déplorables et des infections qui en résultent.

D’autres couples, brisés par la mort de l’épouse ne peuvent donner toute leur mesure.

Aussi la sélection de 85 couples qui ont une vie commune de plus de 10 ans accroît le nombre d’enfants qui s’établit à 5,49 (6,8 à Landéda). L’échantillon de ces familles Plouguernéennes dévoile une grande variété de situations dans la taille des descendances.

Les ménages ayant deux ou moins de deux enfants sont minoritaires. A l’opposé, les couples de 10 enfants ou plus sont en proportion comparable. La majorité des familles voient naître trois à sept enfants et accessoirement plus. Pour compléter ce tableau des naissances, on ajoutera que les petits bébés de sexe masculin sont, comme aujourd’hui, plus nombreux que les petites filles (52,7% à Plouguerneau en 1757-58, 57,9% à Tréménac’h en 1781-90) et que les naissances gémellaires concernent 2% des enfants.

Dans de nombreuses paroisses et régions de France on enregistre, au XVIIIe siècle un tassement et un recul de la natalité.

Qu’en est-il à Plouguerneau ? Entre 1747 et 1756, le taux de natalité est de 38,4°/°° ; pour la décennie 1780-90 le taux est le même. La croissance de la population malgré une élévation du nombre des naissances explique cette stabilité.

Effectivement les deux paroisses se singularisent par une poussée des naissances entre le début et la fin de la période (145,5 en moyenne par an de 1747 à 1767 à Plouguerneau, mais 152,5 de 1771 à 1790 ; 15,8 à Tréménac’h de 1772 à 1780 et 16,4 de 1781 à 1790).

Le reflux de la natalité n’est pas amorcé ici et cette montée de la natalité ne subit pas les effets des épidémies et des surmortalités. Plouguerneau ne donne pas l’impression de pratiquer véritablement la limitation des naissances et apparaît comme un îlot de résistance de démographie de type ancien. La noblesse locale, elle-même, ne semble pas restreindre particulièrement sa descendance : Toussaint-Marie de Kervern a sept enfants, Louis-Marie-Raymond de Poulpiquet six, René-Camille de Carné cinq et Jean-Pierre Gilard de Kéranflech quatre. Un exemple original de restriction caractérisée des naissances est celui de J. Kerscaven qui épouse Jeanne Gouez en février 1760 ; leur seul enfant naît plus de six ans après. Il se remarie à A. Uguen en févier 1770 et sept ans et sept mois plus tard voyait le jour, à nouveau, l’unique bébé du couple. J. Kerscaven était certainement un notable, comme l’attestent les témoins de qualité présents à son mariage. Il devait, et n’était peut être pas le seul, à connaître les « funestes secrets », coïtus interruptus * ou préservatifs primitifs, qui permettaient de freiner sa descendance. Mais la pratique contraceptive est diffuse et la majorité des paroissiens n’en fait guère usage.

Cette relative imperméabilité à la restriction des naissances tient à l’influence considérable du clergé bas-breton et à l’originalité linguistique et culturelle de notre région qui en fait un monde replié sur lui-même au niveau de certains de ses comportements.



Etudier les mouvements saisonniers des baptêmes et des conceptions est particulièrement intéressant car ils permettent de pénétrer les mentalités des populations bretonnes de l’Ancien Régime.

A Plouguerneau et à Tréménac’h les conceptions s’imposent de mars à juillet. En Léon, la précocité du printemps explique ce regain des conceptions de paroissiens qui vivent en symbiose avec la nature.

Le recul des conceptions se situe entre août et février. L’époque de la moisson, souvent tardive, explique la baisse de la fin de l’été et de l’automne. Les organismes sont affaiblis par une tâche lourde qui ne laisse que peu de place aux sentiments amoureux. La fin de l’année à Plouguerneau ne réveille guère les conceptions : peut-être faut-il y voir la marque de l’interdit de l’Avent* mais rien n’est moins sûr car le Plouguernéen n’observe pas le second interdit de Carême*, en mars-avril.

On peut souligner également les relations entre les périodes de l’année où se déroulent les mariages et le phénomène conceptionnel. On a vu que le Plouguernéen se marie en janvier-février, en juillet et en octobre-novembre. La corrélation entre les épousailles et les conceptions vaut avant tout pour le mois de juillet qui enregistre, par l’addition noces-saison des amours, une élévation des relations sexuelles fécondes. A contrario le défaut d’épousailles, en août, se traduit par un déficit des conceptions. Cependant le mariage ne débouche pas systématiquement sur une conception : à Tréménac’h le lien est ainsi nettement moins apparent.

Ces fortes variations saisonnières pour des populations qui ne pratiquent guère la planification des naissances reflètent des comportements d’individus dont la vie est rythmée, plus que jamais, par les saisons et les travaux des champs. Les naissances sont à leur plus haut niveau, à Plouguerneau, entre décembre et avril. La situation est similaire à Tréménac’h mais avec deux mois supplémentaires : septembre et octobre. Les conséquences pour l’enfant sont facilement imaginables : baptisé en saison froide et humide, transporté jusqu’à l’église à travers champs et chemins boueux, les risques pour lui sont bien réels.

Les Plouguernéens sont des individus respectueux des « canons » de l’époque en matière de conception. L’opprobre des familles, du voisinage, de la communauté villageoise et du clergé joue remarquablement pour éviter les fautes de comportements à ce niveau. En clair, les couples attendent d’être mariés pour engendrer des enfants et la première naissance intervient, en moyenne, à Plouguerneau un an et cinq mois après le mariage. Cet intervalle assez conséquent provient de certains couples qui « diffèrent » de quelques années le démarrage de leur progéniture mais également de la stérilité momentanée en cas de fausses couches.

Pour la paroisse de Plouguerneau, l’intervalle moyen entre deux naissances est de deux ans et trois mois. Cet intervalle est à mettre en parallèle avec l’allaitement maternel qui déclenche, pour environ deux ans, une aménorrhée provisoire. L’intervalle peut se raccourcir en cas de décès de l’enfant précédent. La mère cessant d’allaiter, se trouve exposée à une nouvelle grossesse. De même, certaines femmes particulièrement fécondes, allaitent, sans que chez elles se produisent un blocage de l’ovulation. De plus, il est notable que la femme qui met son petit en nourrice retrouve rapidement sa fécondité.

Au terme de cette analyse il ressort que la Plouguernéenne, mariée à 25 ans, ménopausée à 39 ans, a devant elle 14 ans de fécondité théorique. Au rythme d’un enfant tous les 27 mois, elle aurait pu donner la vie à 6,2 petits Plouguernéens. Elle s’est contentée de 4,2. Les explications sont variées : âge plus tardif du mariage pour certaine femme, éventuelle stérilité liée aux accouchements délicats, voire contrôle volontaire de la fécondité.

4) LA NATALITE HORS NORME : LES NAISSANCES ILLÉGITIMES.*

Le comportement exemplaire des Plouguernéens en matière de conception vient d’être souligné un peu plus haut. Il provient d’un encadrement rigide des hommes et femmes sous l’Ancien Régime au niveau familial, de la société, du clergé mais également de la loi.

L’édit de 1556 prévoit des mesures particulièrement répressives pour les filles-mères qui cachent leur état et qui accoucheraient d’un enfant mort. Elles doivent obligatoirement déclarer leur grossesse auprès d’un officier ministériel, notaire, procureur fiscal. Une fille célibataire ou une veuve qui, délibérément, omet de signaler son état et dont le bébé décède à la naissance peut être accusée d’infanticide et s’expose à diverses condamnations dont la pendaison.

Les registres des baptêmes et mariages contiennent leur lot d’enfants illégitimes* : le total est de 0,7 % à Plouguerneau, ce qui est faible et conforme à la Bretagne de 1740 à 1789.

Par ailleurs, le manque de consistance de ces chiffres peut provenir de certaines femmes qui, pour échapper à la vindicte populaire, s’enfuient vers la ville de Brest pour enfanter anonymement. Les années 1780 connaissent une petite élévation de ce type de naissances. En 1782, elles correspondent à 3,8 % du total.

La relation avec le port du Koréjou et la guerre d’indépendance des Etats-Unis qui draine une population mouvante de soldats et de matelots pourraient constituer un élément d’explication.

Il arrive que l’enfant né de ces relations coupables soit légitimé : en août 1781 « Marie-Anne, fille naturelle de Marie Calvès a été légitimée par le mariage d’Hervé Quéméneur avec la dite Calvès le 28 août 1781. Ils avouent et réclament pour être leur propre enfant et légitiment le dit enfant né le 22 août 1781 ».

Dans seulement 18,5 % des cas le père accepte sa paternité. Les autres enfants seront réduits au rang de bâtards ou tout simplement abandonnés.

5) LES AUTRES INFORMATIONS QUE NOUS LIVRENT LES REGISTRES.

5.1) LES PRÉNOMS.

Le baptême marque véritablement l’entrée du petit paroissien dans la vie : naissance à la vie chrétienne, mais aussi rite de passage essentiel avec l’imposition du prénom par le parrain et la marraine. Le choix du prénom, tout comme aujourd’hui, est d’une grande importance. A l’époque, c’est souvent celui du parrain ou de la marraine, celui du père ou de la mère surtout pour un premier né.

Si le prénom est unique cela peut entraîner certaines confusions. Pour les éviter quand le fils devient adulte on assortit le patronyme familial de la mention « le jeune » et le père de celle de « vieux ».

Le prénom est primordial pour identifier l’individu au sein de la famille mais également auprès des amis et du voisinage.

La première constatation que l’on peut faire pour les garçons, concerne la faiblesse des prénoms composés : moins de 10 % à Plouguerneau, 16 % à Tréménac’h (Marie intervenant fréquemment en seconde position) (1). A contrario, Madame Henwood, à Brest, recense 90,7 % des garçons possédant deux prénoms.

A Plouguerneau seulement 2,2 % des petits paroissiens ont trois prénoms. Ce qui est surprenant.

Au hit-parade des prénoms les plus usités, Jean est largement en tête avec 24 % (en prénom simple ou composé) suivi assez loin de François (16 %), de Yves (8,2 %), de Guillaume, de Gabriel. Suit un peloton distancé de Jacques, Hervé, Pierre, Joseph, Christophe, Charles et Claude. Une mention spéciale à Michel, saint patron de la paroisse de Tréménac’h qui score à 10 %.

En définitive, le choix des prénoms est varié mais dans l’ensemble ils sont francisés et la présence de prénoms bretons, curieusement, est assez rare. Quelques Sesny, Goulven, Gwénolé, Maël, Paol, Brévalaire, Ildut ou Quénan apparaissent au détour des actes de baptêmes mais dans de faibles proportions.

Le prénom est, très souvent celui du parrain et rarement celui de la marraine.

Les filles ont plus fréquemment des prénoms multiples : en 1782, à Plouguerneau, 78 % ont deux ou trois prénoms. A Brest, cependant, 94,2 % sont titulaires de prénoms composés. La marraine fournit dans deux cas sur trois le prénom principal. Le deuxième est accessoirement celui du parrain.

Sur 613 prénoms simples ou composés Marie est représentée 404 fois, Anne 226 fois, Jeanne 127. Plus loin, se placent en quatrième et cinquième positions Françoise et Marguerite avec 59 et 32 citations. Marie exerce un véritable monopole et Anne, la sainte patronne des bretons figure en bonne situation. A la différence des garçons qui ont un éventail de prénoms conséquent, une quarantaine, les filles se contentent d’une vingtaine. Il est vrai que le trio Marie-Anne-Jeanne permet maintes combinaisons.

Une ultime remarque au sujet des prénoms : les catégories sociales les plus huppées utilisent couramment les prénoms multiples pour le garçon comme pour la fille. Cet apanage est destiné à se distinguer des classes roturières. D’ailleurs le choix même du prénom tend vers l’originalité pour bien montrer sa différence. On peut citer pour les filles les Charlotte, Barbe, Kerlestine, Guillemette, Perrine, Olive, Prudence…

5.2) L’ALPHABÉTISATION DES PAROISSIENS.

Analyser le degré d’instruction des paroissiens n’est pas chose aisée. On peut se tourner vers les actes de mariages mais les signatures se font souvent rares et leur fiabilité douteuse. Les trois-quarts des mariés ne signent pas et le dernier quart est capable de signer correctement ou normalement. A Landéda, les hommes signent dans les mêmes proportions, mais les femmes sont toujours sous la barre des 10%.

Tel mari ne signe pas, mais devenu père il appose son paraphe sur le registre. Comment expliquer cette situation ? Le jour de ses noces le prêtre, par défaut d’obligation, ne le sollicite pas. Soumis à une union qu’il contracte contraint et forcé, il tient à montrer ainsi sa désapprobation. Enfin il faut s’imaginer le contexte des noces bretonnes : bruyantes et animées, elles incitent peu aux formalités administratives. Signer devient pour beaucoup accessoire et dans ces conditions il est périlleux de rechercher des indications d’alphabétisation. Les actes de baptêmes paraissent plus propices à mesurer le degré d’alphabétisation. Le parrain et la marraine ont cette fois, obligation de signer. Le père, investi de sa responsabilité de chef de famille désire la matérialiser et pose plus facilement sa griffe sur le registre.

De 1781 à 1790, à Tréménac’h, sur 164 actes : 53 % des pères signent, 37 % des parrains le font également mais seulement 7 % des marraines. La disparité hommes-femmes est flagrante.

Ces résultats sont à nuancer : nombreux sont les paroissiens qui se limitent à dessiner grossièrement leur nom.

Les chiffres de signatures aisées doivent, dès lors, être revus à la baisse. Ils sont respectivement de 16 %, 26,2 % et 5 %. Les signatures des plus mal habiles déforment les statistiques.

A Plouguerneau, entre 1785 et 1789 sur environ 300 actes, 38 % des pères, 48 % des parrains et 11,8 % des marraines sont capables de signer. En soustrayant les signatures dessinées les pourcentages tombent à 24,3 %, 38,9 % et 9,4 %. La différence de résultats entre les parrains et les pères provient certainement du choix des premiers parmi une certaine élite cultivée.

Selon F. Roudaut, il semble qu’une bonne partie des Léonards sait lire mais pas pour autant écrire. Il l’explique par la forte pratique religieuse et la volonté des clercs d’encourager plus la lecture des ouvrages de dévotion que l’écriture. En outre, les enfants sortant de l’école rapidement et se mariant tard, la pratique de l’écriture se raréfie et se perd. De plus, les petits quittent le plus fréquemment l’école après l’apprentissage de la lecture qui précède celui de l’écriture.

L’apprentissage de la lecture et de l’écriture se fait dans le cadre des petites écoles. Les statuts synodaux de 1708, recommandent aux recteurs et aux vicaires d’apporter tous leurs soins pour l’élection et l’entretien des petites écoles de leur paroisse. L. Kerbiriou souligne le rôle de Mgr de la Marche, évêque du Léon qui ordonne que « les recteurs et vicaires ou tous autres ecclésiastiques, concourent avec nous à l’élection ou à l’entretien des petites écoles et au choix des maîtres et maîtresses dont la doctrine et les moeurs ne décident que trop souvent du salut des fidèles. Qu’ils opposent à ce que les écoles pour les garçons soient tenues par des femmes et les écoles pour les filles par des hommes… ». Le clergé exerce ainsi son autorité sur les maîtres.

Les critères déterminants pour être désigné au poste d’instituteur sont liés aux mœurs, à la probité et à l’orthodoxie religieuse. Les religieux sur place et les visites de l’évêque assurent le suivi de ce personnel civil. Parfois les petites écoles sont tout simplement tenues par les recteurs ou les diacres*.

A Tréménac’h, Sesny Loaëc, en 1723, exerce la profession de « maître d’écholle » et reçoit 23 livres pour sa fonction (une misère !). Plouguerneau a deux petites écoles : une pour les garçons et une pour les filles. La mixité étant interdite. Les prêtres dirigent la première (Photo : l’école du prêtre). La seconde est entre les mains de Renée Le Goff, dont le mari est marchand de toiles, de 1734 à 1748. Demoiselle Marie-Angélique Le Marant officie à ce poste en 1765. Les instituteurs reçoivent leurs gages de la fabrique* ou d’un généreux donateur. Madame de Rosarnou fournit 75 livres au titre de la fondation* de Kergadavarn, créée en 1695.

Si la fabrique prend à sa charge le salaire, elle le calcule souvent au plus juste, si bien que le salaire de l’instituteur est mince et parfois difficile à percevoir. Il tourne autour de 75 livres par an pour chaque instituteur à Plouguerneau au XVIIIe siècle.

Quels enseignements recevaient nos petits paroissiens ? En règle générale l’instruction se bornait à quelques rudiments de lecture, d’écriture et de calcul. Le contenu est à fortes consonances religieuses et morales. En fait, l’alphabétisation est avant tout une forme de christianisation, un outil de surveillance morale et en Basse-Bretagne un moyen de renouveler le personnel religieux. En s’appuyant sur des ouvrages de piété, le petit paysan apprend successivement, et jamais simultanément, la lecture puis l’écriture. Le calcul étant réservé aux meilleurs. La volonté du clergé de privilégier la lecture, et l’abandon probable de leurs études par un nombre assez conséquent d’enfants appelés aux travaux des champs, expliqueraient la relative faiblesse des signatures apposées sur les registres des baptêmes.

*****

A la veille de la Révolution les Plouguernéennes se montrent fécondes mais moins qu’on ne l’aurait imaginé. Elles s’inscrivent dans les moyennes bretonnes et léonardes.

Dans un monde de type ancien, l’âge élevé au mariage de la femme, la précocité de la ménopause, l’allaitement, expliquent cette relative faiblesse. De plus, il faut prendre en compte la rupture des couples par le décès d’un des parents qui limite la descendance finale. Pourtant, les taux de natalité sont élevés. Ils frôlent les 40 ‰ et se maintiennent à ce haut niveau tout au long du demi-siècle. Par là, nos paroisses se singularisent par rapport à de nombreuses autres régions de France où l’on enregistre une diminution de la natalité. Cette situation est certainement liée à la forte mortalité infantile qui évite l’allaitement maternel et rend la maman à nouveau féconde après le décès du nourrisson. De même il ne faut pas négliger, pour la grande majorité des paroissiens, l’absence de pratiques contraceptives.

(1) L’analyse des prénoms dans la paroisse de Tréménac’h correspond aux années 1772-1790, dans celle de Plouguerneau aux années 1747-1748-1750-1751-1757-1759 et 1782.

BIBLIOGRAPHIE.

  • Henwood A. : Les cahiers de l’Iroise, n° 3, 1988. Etude des prénoms à Brest pendant la Révolution, 1789-1799.
  • Jaffré N. : Etude démographique de Plouguerneau, 1728-1828, UBO, maîtrise.
  • Roudaut F. : La difficile approche de l’alphabétisation de la Basse-Bretagne avant la Révolution de la France d’Ancien Régime (En honneur à P. Goubert, Privat, 1984).
  • Kebiriou L. : Monseigneur de la Marche, évêque de Léon, 1729-1806.
  • Tréguer M-A : Etude démographique de Landéda, 1672-1789, UBO, 1995, maîtrise.

LEXIQUE.

* Aménorrhée : arrêt provisoire de l’ovulation.

* Avent : période de quatre semaines de l’année liturgique qui précède Noël.

* Carême : période de quarante jours, consacrée à la pénitence et au jeûne du mercredi des Cendres au jour de Pâques.

* Coïtus interrompus : méthode contraceptive, par retrait avant éjaculation.

* Diacre : ecclésiastique qui a reçu le diaconat, ordre immédiatement inférieur à la prêtrise.

* Fabrique : organisme chargé de gérer les biens de l’Eglise dans une paroisse. Certaines sont riches (donations) de terres, de rentes, …

* Fondation : création par voie de donation ou de legs de messes, d’action ou d’institution charitable, en échange de prières pour l’âme du donateur.

* Illégitimes (naissances) : naissances hors mariage religieux à l’époque.

* Matrone : sage-femme plus ou moins compétente.

* Ondoiement : baptême express du bébé, après sa naissance, par la matrone, car il est en danger de mort.