Une épidémie en Pays Pagan en 1775-76

UNE ÉPIDÉMIE EN PAYS PAGAN EN 1775-76

(Service Historique de la Marine, 1 E 542)

L’essentiel du vocabulaire et des expressions de l’époque ont été conservées.

Il s’agit d’un courrier de l’Intendant de la Marine à la cour du roi, en date du 12 janvier 1776.

Il faut replacer cette lettre dans son contexte de l’époque. Le mémoire relate la maladie épidémique, putride et vermineuse, qui règne dans quelques paroisses voisines de la ville de Brest. Sont citées les villages de Plabennec, Plounéour (-Trez), Kerlouan, Plouvien, Guissény, Plouguerneau, Cléder, Tréflaouénan, Plouescat, Lanhouarneau et autres lieux des environs de Brest, Lesneven, Saint-Pol-de-Léon.

L’épidémie fait suite à d’autres qui firent des ravages les années précédentes à Plouider, Tréflez, Saint-Frégant, et Trégarantec.
Les épidémies sont monnaie courante sous l’Ancien Régime, et le Léon se souvient de celle de 1757 qui, partie de Brest (« le mal de Brest » ou typhus), lors de l’arrivée de troupes françaises du Canada fit des dizaines de milliers de morts en Bretagne.

Dans les années 1770 et 1780, le Léon et la Bretagne sont de nouveau meurtris par une série d’épidémies à répétition. De 1770 à 1787, la Bretagne perd ainsi 3,7% de sa population.

« Les malades touchés par la fièvre épidémique présentent les symptômes suivants : des frissons, des maux de cœur, des vomissements, des points douloureux à la poitrine ou au ventre et dans le hypocondres ou flancs, un abattement général, une prostration de forces, de sensibilité plus ou moins grandes dans tous les membres, des sueurs colliquatives ou putrides, des éruptions pourpreuses, des rougeurs au visage, des assoupissements, des délires, des maux de gorges souvent gangréneux, des crachements de sang, des constipations opiniâtres, des difficultés d’urine, une ardeur extrême à la peau, une langue plus ou moins sèche, aride et brûlée, des dépôts gangreneux aux fesses ».

L’épidémie n’est pas identifiée par le représentant du roi, mais il peut s’agir de dysenterie, de typhus ou de typhoïde. Les causes sont sans doute à relier à la présence de marécages ici et là, à la qualité médiocre de l’eau consommée, et au manque quasi général d’hygiène des contemporains. Enfin, les coutumes de veiller les défunts plusieurs jours et de les enterrer dans les églises n’ont certainement pas aidé à entraver la propagation de l’épidémie.
Le fait que l’intendant relate cette épidémie début janvier peut s’expliquer par un oubli de sa correspondance à la cour, qu’il répare tardivement, ou par des résidus d’une épidémie à l’état endémique qui se produit en général en été ou en automne, saisons à l’époque plus chaudes, qu’à l’accoutumée, dans ces années 1770.

 

 

« La maladie enlève beaucoup de monde au début de l’invasion. C’est à ce moment là qu’il faut intervenir en incitant les gens à vomir et ne pas laisser les malades aux seuls soins de la nature.
Elle persiste de 14 à 21 jours et l’on meurt souvent entre le 5eme et le 7eme jour.

Pour soigner les malades des paquets de médicaments seront déposés dans les presbytères ».

« Les traitements seront assurés par les pasteurs (prêtres), des personnes charitables et un peu plus intelligentes et, si possible, par des chirurgiens ».

La plupart des remèdes proposés sont à base de plantes (bette, légumes,sureau…), de vinaigre, de miel, de beurre, de saindoux… Ils interviennent dans les vomitifs, les lavements, les bains de pieds, les cataplasmes, les emplâtres, les gargarismes, et les tisanes.

« Les paquets de remèdes, pour vomir, contiennent trois grains d’émétique que l’on fait dissoudre dans trois verres d’eau. On prend un seul verre, puis, si le vomissement ne se produit pas, un second verre, une demi-heure plus tard, et ainsi de suite.

Les enfants n’auront droit qu’à un traitement de moitié par rapport aux adultes. Les règles des femmes ne sont pas un obstacle au traitement. Il vaut mieux éviter de donner ce remède aux femmes enceintes et lui préférer deux onces de manne, un demi gros de crème de tartre et une pincée de semen contrà ou à défaut un peu d’absinthe ou de tamési et un peu de miel.

Les saignées doivent être évitées, par ses effets funestes, aux enfants, femmes, personnes faibles, surtout ceux des zones marécageuses comme Kerlouan.
Les malades les moins atteints par la maladie et robustes peuvent se contenter d’une petite saignée et d’un vomitif à base d’eau tiède, de miel et de vinaigre.
Si le patient crache du sang, le vinaigre est arrêté et on utilise de l’avoine ou de l’orge.

Dans certains cas, de délire, d’assoupissement, de soubresauts dans les tendons du poignet, de poul inégal, on peut conseiller des emplâtres vesicatoires à la nuque et une tisane à base d’esprit de mondéderns, de fleur de sureau, de camphre.

Le délire violent est traité par des bains de pieds à l’eau chaude ( ! ), par une limonade avec liqueur minérale d’hoffmann.

On peut disposer des cataplasmes sur les jambes et les cuisses. Ils comprennent de l’ail pilé, de la ciboule, de l’oignon, de la moutarde, de la farine de seigle, du sel commun et un peu de vinaigre.

Les maux de gorges gangréneux réclament du quinquina acidulé, du miel, de la liqueur d’hoffmann, de l’absinthe, de la camomille, du vinaigre (en gargarisme). Les pauvres se contenteront d’une pinte d’eau bouillie, avec de la camomille, de l’oseille et un gros de crème de tartre.

En situation de constipation, des lavements seront pratiqués en utilisant de l’émolliente, une graine de lin, du miel.

Si les traitements ont eu des effets salutaires pour les malades, les plus riches peuvent reprendre de la viande, des potages aux légumes, du vin avec modération. Les pauvres mangeront du pain, de la soupe au beurre et à l’oseille, des œufs frais, des bouillies fermentées.

Messieurs les recteurs, chargés de la conservation de leurs paroissiens, doivent travailler à les convaincre que l’usage de ces deux liqueurs (le vin et l’eau-de-vie) ajoutent singulièrement aux dangers de la maladie, et leur donner pour exemple de cette vérité que les personnes riches et robustes qui se livrent au vin, périssent en plus grand nombre que les pauvres qui ne peuvent pas se procurer de ces boissons ».

 

 

La lettre est riche d’enseignement.

L’intendant présente un regard assez fataliste sur l’épidémie. Il paraît conscient des insuffisances numériques du corps médical. Il doute de la présence sur place de chirurgien et n’évoque pas de médecins. De plus, les malades dénués de secours, « sont dans des préjugés qu’ils ne peuvent trouver de soulagement à leurs maux qu’en buvant beaucoup de vin et d’eau-de-vie, pratique qui fait, au contraire, périr la plupart de ceux qui s’y livrent ». Dans ses propos se sent la coupure entre un monde rural réputé ignorant, routinier et refermé sur lui-même et un monde plus éclairé, auquel il appartient : urbain, bourgeois, ecclésiastique et noble.

Outre, le descriptif très imagé des maux engendrés par l’épidémie, elle permet de découvrir la pharmacopée (empirique et bien maigre) de l’époque, le recours au nombreux clergé masculin pour dispenser conseils et soins lors de l’épidémie (on y rajoutera les religieuses nombreuses à Plouguerneau).

Pour limiter le déclenchement des épidémies, l’intendant de la Marine propose que les habitants parfument leurs maisons, closes et sans habitant, leurs ameublements et leurs hardes en utilisant un mélange de souffre et de résine. Il insiste sur la propreté et le renouvellement de l’air dans les habitations. Il fait ainsi sienne la théorie de l’aérisme, à la mode dans les couches sociales les plus aisées. Mais il n’évoque pas les nouvelles dispositions prises par le roi ou le parlement de Rennes qui imposent d’enterrer rapidement les défunts, et surtout pas dans les églises, dans des cimetières que l’on implante à l’extérieur des bourgs.

Il fait, intelligemment, le distinguo entre les villages situé dans les zones marécageuses comme Kerlouan et ceux implantés dans des endroits plus élevés comme Plouguerneau. Les eaux dormantes et stagnantes sont ainsi sources d’épidémie.

Version 1 : 28 Mai 2014