La rue COIN-COLIN


La rue COIN-COLIN
 

De nombreux archéologues, tant érudits qu’amateurs, s’intéressant au patrimoine de notre pays, sont d’accord sur l’importance qu’a eue dans le passé le site sur lequel nous vivons aujourd’hui.

Des vestiges préhistoriques (menhir, dolmen, cromlech), mais surtout les terroirs aux noms celtiques indiquaient un peuplement assez important. A une époque plus proche de nous, mais encore relativement éloignée, des voies et bornes romaines, des retranchements défensifs, des sites aux noms caractéristiques, confirment une densité de peuplement qui n’existait pas partout ailleurs.

 

La rue Coin-Colin

 

En effet, tous les historiens assurent qu’à l’époque des invasions romaines, un demi-siècle avant J.C., la Gaule et sans doute aussi l’Armorique étaient couvertes de forêts et de vastes marais existaient le long des côtes et des fleuves. Il est donc à présumer que des champs et des bois couvraient l’emplacement actuel du bourg de Plouguerneau qui s’est établi plus tard, vers le Vie siècle près de la voie romaine venant de Carhaix, se dirigeant vers l’Ouest et aboutissant dans la grève de Kervenny en direction du lieu présumé de la ville légendaire de Tolente.

Outre ces vestiges romains, il nous est resté des noms de lieux quelquefois déformés et devenus incompréhensibles. On ne connaissait pas encore l’écriture et toutes les connaissances se transmettaient par voie orale. Seuls un site, un vestige quelconque, un détail, même un nom, peuvent encore apporter un petite lueur dans l’histoire obscure de notre pays.

C’est ainsi qu’il y a quelques années des travaux de terrassement étaient entrepris par l’Administration des Postes, en plein centre de l’agglomération actuelle, pour la pose de câbles téléphoniques. Il s’agissait du creusement d’une tranchée d’environ un mètre de profondeur, allant de la rue Neuve (actuellement rue Michel Le Nobletz) par la rue Coin-Colin et la rue du Four à travers la place et selon un tracé rectiligne aboutissant sur le côté Est de cette place.

 

L’entrée de la rue du Four (place aux veaux)

 

Un terrassier employé à ces travaux découvrit, par un hasardeux coup de pioche, le faîte d’une galerie souterraine orientée nord-sud, traversant la petite place (anciennement dénommée Place aux Veaux , ou plaç al liou pour plaç al leueou). Les inconvénients et les dangers que représentait cette excavation continue à travers les rues et places obligeaient l’entreprise à la pose rapide des câbles téléphoniques et au comblement immédiat de la tranchée. Personne ne put donc explorer cette galerie souterraine pour noter sa forme, sa disposition, ses dimensions et les matériaux employés. Il est donc impossible de fixer la date de sa construction.

 

 

Par transmission orale quelques rares autochtones savaient que des souterrains existaient, mais leurs souvenirs étaient d’une vague imprécision qui confinait à la légende. On peut toutefois émettre deux hypothèses. Cette galerie pouvait exister avant l’arrivée des légionnaires de César ou bien elle a été construite plus tard par leurs remplaçants au cours des décennies suivantes sous le règne d’Auguste, de Tibère, de Claude ou de Néron.

Dans le premier cas, c’est-à-dire plus d’un demi-siècle avant la naissance de Jésus-Christ, les soldats romains ont pu déceler, dès leur arrivée, l’existence d’une galerie souterraine et ainsi la dénommer. Au contraire, si les légionnaires de l’Empire l’ont construite – et l’on sait qu’ils maniaient la pelle et la pioche aussi bien que la lance et le javelot – ils lui ont eux-mêmes donné un nom.

En effet une galerie souterraine, dans la langue de César, était appelée cuniculus ; mais, chose curieuse, le même mot employé par d’autres auteurs latins, tels Varron et Martial, se traduit par : LAPIN. Or il ne faut pas oublier que Lapin, en breton vrai, non abâtardi, se dit conicl et, par la suite, par facilité, conil puis colin (prononcer conile et coline avec accentuation sur la 1ère syllabe).

Cette galerie constitue un coude ou une déviation et forme un angle (cunéus) vers l’Ouest. Une résonance très forte d’un creux souterrain était ressentie rue Michel Le Nobletz, près du n° 11 actuel, et au bas de la rue Coin-Colin lors du passage des charrettes ferrées, jusque dans les années 1950 où elles ont laissé la place aux transports à pneumatiques.

Mais elle pouvait être aussi de sommet triangulaire dans sa forme cunéiforme, à peu près sans doute en triangle isocèle. (La pioche du terrassier n’ayant découvert qu’un orifice étroit). Cette forme indiquerait le qualificatif qui devait lui être adjoint, c’est-à-dire : cuneatus. Cette galerie devait donc être en forme de coin.

La voute angulaire (style ogival) de la galerie souterraine emploie donc un mot latin de même racine, l’adjectif cuneus ou cuneatus. C’est ainsi que dans un cas les Romains auraient appelé la galerie souterraine :
cuneatus cuniculus, en raison de sa forme, c’est-à-dire galerie souterraine triangulaire ou bien :
cuneus cuniculi, en raison de sa disposition, c’est-à-dire coin ou angle de galerie souterraine.

Au Vie siècle les Bretons immigrés en Armorique ne devaient pas soupçonner l’existence de cette galerie souterraine, mais il est incontestable que l’endroit où elle se trouvait, inhabité à leur arrivée et situé en pleine campagne, avait conservé la dénomination latine. Il est également vraisemblable que les lapins y pullulaient, tant et si bien que la traduction plus commune de cuniculus bien que tout-à-fait incongrue par lapin a remplacé celle de galerie souterraine.

Nos ancêtres les Celtes de Grande Bretagne, ayant été préservés par leur insularité d’une occupation romaine continue et oppressive, peu férus de latin académique, traduisirent tout naturellement au VIIIe siècle le mot cuneus par cougn, ce qui est correct, mot devenu coin en français, et celui de Cuniculi par Colin qui a été conservé tel quel. C’est ainsi que nous retrouvons, sous un nom peu archaïque, le souvenir d’une galerie souterraine en forme de coin ou encore d’un angle de galerie souterraine, c’est aujourd’hui la RUE COIN-COLIN.

 

 

D’autres noms de lieux, aussi bizarres, subsistent un peu partout dans la commune. Il s’agit de les collecter et d’en rechercher la signification, car celle-ci est parfois curieuse mais souvent explicite.

René Abjean – Novembre 2013