Le Moulin de Kerniguel

 


KERNIGUEL
Un moulin méconnu à Plouguerneau
 

 
 

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Dans les terres humides situées entre Enescadec, Enizinoc et Anteren, des petites sources et les fossés de drainage des prés donnent naissance à un petit cours d’eau. A son passage à proximité de la chapelle Sainte Anne, son débit est déjà bien formé, surtout en hiver. Moins de 1000 mètres plus loin, il passe en contrebas de Rann Grannog.

Le modeste ruisseau s’est grossi de plusieurs affluents venant de sources situées vers Santez Anna, Kéroudern, Guéléran, Hellès… quand il traverse le hameau du Carpont. Il rejoint ensuite l’ancien moulin de Kergaële dit du Stang avant de passer dans le village du Traon où il alimenta jusqu’à la fin du XIXème siècle une série de moulins. Finalement, il se jette dans l’estuaire de l’aber Wrach au pied de la chaussée de Milin an Aod qui est à la limite du domaine maritime.

 

 

Kerniguel est le moulin situé le plus en amont sur ce ruisseau. Disparu depuis environ 130 ans, il se trouvait au pied du village de Rann Grannoc et du lieudit devenu inhabité de Poul Lossouarn.

Ses vestiges ne sont plus visibles aujourd’hui ; elles ont sans doute disparu à cause de l’évolution de l’agriculture.

 

1 – Le Moulin banal

Avant la Révolution, le moulin était attaché au domaine de Guéléran, parfois appelé Guelec Rann ou Gueletran dans certains documents.

Louis Le Guennec, dans son ouvrage « Nos vieux Manoirs à Légendes », cite le fief de Gueletran à propos des démêlés de Yves Denys, seigneur du dit lieu et héritier légitime de Lesmel et de Lanvaon, avec Anne de Sanzay, comte de La Magnanne. Ce personnage, occupant du château de Penmarc’h à la fin du XVIème siècle, peut-être suite à son mariage avec la veuve de Claude de
Penmarc’h, est un sire de triste réputation durant les guerres de la Ligue et, à l’occasion, brigand, extorqueur de biens et massacreur.

Le moulin de Guéléran, était situé à environ 600 mètres de son manoir suzerain, lui aussi totalement disparu de nos jours. Son appellation populaire de milin kerniguel, ou moulin des vanneaux, provient peut-être d’un surnom ayant rapport avec ces oiseaux, hypothèse avancée par René Abjean.

L’existence du moulin est attestée sans ambiguité par des sources écrites du début du XVIIIème siècle.

François Lesteven et Jacquette le Venec, auparavant établis en Lannilis aux moulins de la Fosse, puis de Mescaradec, viennent y demeurer vers 1707. Leur fille Marie naît au moulin dit de Gueletran le 23 août 1707. Le moulin est dénommé Guelec Ran lors du baptême d’un de leurs autres enfants, Anne, le 12 mai 1715.

 

 

A cette époque, le domaine de Guéléran, dont fait partie le moulin, est propriété de Messire Olivier Téven Sieur de Guelletran, avocat au parlement. Il est marié à Laurence Céleste Locquet qui est citée comme témoin dans son acte de sépulture, le lendemain de son décès survenu le 5 novembre 1720 à Plouguerneau.

 

 

La veuve du Sieur de Guéléran se remarie à Plouguerneau le 10 janvier 1723 avec Noble Homme Prigent Jan Cabon, Sieur de Lesmaïdic en Lannilis, veuf de Marie-Catherine Michelet. Le nouvel époux est avocat au parlement et sénéchal des juridictions du Chatel, de Carman et de Coatquénan.

Quant à la famille Lesteven, elle quitta le moulin à une date inconnue, mais postérieure à la naissance de leur fille Anne en 1715. Elle partit s’établir au Val du Traon, et resta sans doute dans la meunerie.

François y décéda le 25 mars 1733 âgé de 60 ans et Jacquette Le Vénec le 8 décembre 1743. Tous deux furent inhumés à Plouguerneau.

Philippe Migadel et Marie Le Berre se sont mariés à Plouguerneau le 21 mai 1765. Ils demeurent au moulin de Kerniguel quand Corentin, leur premier enfant, naît le 6 mai 1766.

Dans les années 1750 à 1780, la famille Migadel est présente dans plusieurs moulins de la paroisse de Plouguerneau. Marié avec Marie Jaffrez à Milizac en 1715, le patriarche, Pierre demeura d’abord au bourg de Milizac puis à Plouguin. Il vint s’installer à Plouguerneau entre 1a naissance de sa fille Catherine en 1723 à Plouguin et celle de Hervé en 1725.

Il est décédé à Rannorgat, probablement au moulin, le 16 février 1748. René, un des frères de Philippe, et Corentin Le Normant, son beau-frère marié à Barbe Migadel, ont pris sa succession au moulin de Rannorgat. Plus tard, le premier deviendra meunier à La Rive puis à Kérilli. Il est allié à une autre famille de meuniers de la paroisse de Plouguerneau ; sa femme Marie, aussi originaire de Plouguin, est une des sœurs de Nicolas Bolloré qui tint le moulin de La Martyre
durant les vingt dernières années de l’Ancien Régime.

Au moins cinq enfants du couple Migadel – Le Berre naissent au moulin de Kerniguel entre 1766 et 1776.

 

 

Jean est semble-t-il le dernier ; le rédacteur de l’acte de baptême l’inscrit comme né au moulin de Guéléran.

 

 

La famille quitta le moulin et élit domicile au bourg de Plouguerneau après 1776.

Nous ignorons le lieudit de naissance de Marie-Louise Migadel née le 6 février 1779 en la paroisse de Plouguerneau. L’acte de baptême ne le précise pas.

Cependant, le 30 octobre 1779, par devant le procureur fiscal de la juridiction de Coatquénan et les notaires royaux de Lesneven, le contrat de vente du manoir et du noble moulin de Gélétran, terres, appartenances et dépendances est signé. Le domaine a été acheté pour 8000 livres par Noble Homme François-Marie Moyot et Demoiselle Marie-Yvonne Cornec, sa femme, tous deux de Lanildut.

L’acheteur est maitre de barque et issu d’une famille d’armateurs de la mer d’Iroise, dont l’activité principale est le commerce maritime avec les ports de la Gironde.

Les vendeurs sont Noble Homme Olivier Agathange Theven, sieur de Guéléran, et Dame JeanneMarie Rouxel, son épouse, demeurant à Lesneven. Olivier Agathange Theven est petit-fils et héritier du propriétaire du domaine au début du XVIIIème siècle.

 

 

Il est possible que le changement de propriétaire fut la raison du départ du moulin de Kerniguel de Philippe Migadel.

En 1782, le meunier est établi au bourg de Plouguerneau où lui naissent encore au moins cinq enfants, dont les derniers furent des jumeaux, le 27 novembre 1787. L’un d’eux demeura anonyme car il mourut avant son baptême. Ondoyé à la maison, il fut enterré le lendemain en terre bénite. L’autre nouveau-né, Pierre, survécut mais il décéda loin de son pays, à l’hôpital militaire de Neisse (Pologne) le 6 octobre 1808. Il était soldat-fusilier au 17ème régiment d’infanterie de ligne.

Son père était mort le 5 brumaire an X (27 octobre 1801). A cette date, il était toujours dit meunier à Plouguerneau, dans un moulin dont nous ignorons le nom car l’acte de décès ne le précise pas. Quant à Marie Le Berre, elle trépassa au bourg de Plouguerneau le 28 août 1810. L’un des témoins cités dans l’acte fut son fils Corentin Migadel né au moulin de Kerniguel le 6 mai 1766. Il était
devenu buandier à Lambézellec. L’autre était Goulven Abjean, secrétaire de mairie.

 

2 – La Révolution et les débuts du XIXème siècle

Le domaine de Guéléran et son moulin n’ont sans doute pas été confisqués par la Nation ni, par conséquent, mis en en vente comme biens nationaux. Ils avaient en effet été achetés par des bourgeois enrichis, appartenant donc au Tiers-Etat, une vingtaine d’années avant la fin de l’Ancien Régime.

Le 15 nivôse an VIII (5 janvier 1800), Jean Uguen agent du Directoire chargé des Contributions pour le canton de Plouguerneau, comprenant les communes de Plouguerneau, Guissény et Saint-Frégant, adresse aux administrateurs du département du Finistère la liste des assujettis à la patente pour l’année. »

Dans la commune de Plouguerneau, 18 moulins doivent cette taxe.

Le meunier de Kerniguel n’est pas concerné car le rapport de l’établissement qu’il exploite se situe sans doute au-dessous du seuil d’imposition, c’est-à-dire qu’il est bien inférieur aux 60 francs de chacun des moulins de La Martyre et du Grand Moulin de Kelerven. Au moulin du Diouris, la base de taxation pour Pierre Mingam est 300 francs et il sera tributaire de 5 francs de droits fixes et de 30
francs de droits proportionnels.

Jean-François Salaun, notaire au chef-lieu, devra 20 francs de droits fixes et 2 francs de droits proportionnels. Quant à l’aubergiste le plus taxé, Christophe Bossard demeurant au bourg, il sera imposé pour un total de 19 francs.

Le probable médiocre revenu du moulin de Guéléran peut s’expliquer par le fait qu’il est fortement tributaire des saisons, à cause de sa situation à moins de 1500 mètres des quelques sources, dont la plupart sont surtout des fossés de drainage, avec une très faible dénivelée, qui alimentent le ruisseau
avec un débit assez aléatoire.

Goulven Goasduff et Marie-Jeanne Kerscaven furent à l’origine de la dernière famille qui exploita milin Kerniguel. Le couple et les aînés de leurs enfants vinrent occuper le moulin au début de la Révolution.

Leur fils, Yves, né à Kervenn al Lann, fut baptisé le 7 janvier 1792. Il ne vécut que cinq mois et, suivant son acte de sépulture, il décéda à Guéléran, sans doute au moulin, le 4 juin 1792.

Son frère puîné, Jean-Marie, usuellement dit Jean, naquit à Kerniguel le 25 septembre 1793 et passa toute sa vie au moulin, dont il fut le dernier meunier.

 

 

Le 17 juin 1813, il se marie à Lannilis avec Marie-Louise Saliou née au moulin de Baniguel en Kernilis, le 4 juillet 1781.

Sa mère, Marie-Jeanne Kerscaven, trépasse au moulin le 23 juin 1823. Goulven Goasduff survit à sa femme jusqu’au 4 septembre 1839. Selon son acte de décès, il était âgé de 98 ans, un âge canonique mais sans doute fantaisiste ; il était toujours mineur, donc âgé de moins de 25 ans, lors de son mariage à Landéda en 1779.

En fait, il était né à Loc-Brévalaire le 11 janvier 1757 et son âge réel était de 82 ans, ce qui pour l’époque constituait déjà une sorte de record de longévité.

 

3 – La décadence et la fin du moulin de Kerniguel

 

En 1841, un étang de 1326 m2 sert de réserve d’eau motrice au moulin. Huit personnes y vivent et, suivant la matrice cadastrale, il ne procure qu’un modeste revenu annuel de 17 francs ; ce qui le place parmi les moulins les moins rentables de la commune de Plouguerneau.

 

 

Le meunier est Jean Goasduff qui a succédé à son père Goulven. Il exploite le moulin aidé par sa femme Marie Saliou, leurs enfants célibataires, Jean et Yvonne Goasduff, et leur autre fille Marie-Renée mariée à Gabriel Cléach. Ces deux derniers ont deux enfants : Jean et Marie Cléach.

Son propriétaire est un certain Le Jeune de Lannilis. Il s’agit sans doute de Joseph Le Jeune, notaire devenu le gendre des acquéreurs de 1779, François-Marie Moyot et Marie-Yvonne Cornec, par son mariage à Plouarzel avec leur fille Marie-Françoise le 24 octobre 1808. Ils n’eurent pas d’enfants, semble-t-il.

Devenu veuf, Joseph Le Jeune décèdera au bourg de Lannilis le 24 avril 1851.

Il ne fait pas de doute que Jean Goasduff assiste à la décadence inexorable du modeste moulin.

Ses gendres, Gabriel Cléach, puis Claude Merceur, marié à sa fille Marie-Anne, le secondent durant quelques années.

Ensuite, Gabriel Cléach part s’établir vers Créac’h an Avel, au Petit Moulin où ne le retrouverons entre 1841 et 1846, puis au Grand Moulin de 1851 à 1856. Quant à Claude Merceur, il meurt prématurément au moulin de Kerniguel à l’âge de 34 ans, le 21 novembre 1864. Son beau-père, Jean Le Goasduff, meunier âgé de 72 ans, est cité comme témoin dans l’acte de décès.

En 1866, l’agent recenseur qualifie le patriarche de sans profession et secouru par la charité. Il est âgé de 74 ans !

Louis Méar, époux de Marie-Anne Bars, est venu s’établir comme meunier à Kerniguel ; sa famille est dans l’indigence et il part chercher fortune ailleurs. Son fils Goulven deviendra plus tard meunier à Coatquénan.

En 1872, l’activité du moulin a sans doute cessé. Jean Goasduff, toujours secouru par la charité, y habite encore en compagnie de sa fille Marie-Anne et de son petit-fils Jean Merceur, 13 ans. Il semble y cohabiter avec Jacques Le Guen, un tisserand de 67 ans et Jeanne Philippot, une veuve de 56 ans qui exerce la profession de journalière. Il est probable que leur existence est misérable.

Finalement, Jean Goasduff meurt au moulin de Kerniguel le 27 février 1878 à l’âge de 85 ans ; un phénomène de longévité, comme son père Goulven !

En 1881, deux familles habitent à Kerniguel, peut-être dans l’ancien moulin et ses dépendances devenues masures.

Yves Jaffrès, marié à Marie-Jeanne Balcon, est âgé de 35 ans. Il est journalier et père d’un garçon de trois ans. L’autre ménage est composé de Virginie Quéré et de son fils Guillaume Coz âgé lui aussi de trois ans. L’époux, Hervé Coz, ne demeure pas à Kerniguel ; domestique à la ferme de Porz-al-Lez au moment de son mariage en 1875, il est sans doute employé permanent dans une ferme des
environs.

La précarité est sans doute le quotidien sur l’ancien site du moulin de Kerniguel.

Le moulin est devenu propriété de François Loaec de Kernevez-Tremeur, peut-être après le décès de Maître Le Jeune en 1851.

Victime d’un incendie en 1884, il ne sera pas reconstruit et ses vestiges disparaitront peu à peu !

 

Sources

. Centre Généalogique du Finistère. Base de données RECIF.
. Archives Départementales du Finistère. Sous-séries 3 E 235, 1182 E DEPOT, 16 B 16 (juridiction de Coatquénan), 6 M, 3 P 196.
. Archives municipales de Plouguerneau.
. « Nos vieux manoirs à légendes ». Louis Le Guennec (1936).
. « Les moulins de Plouguerneau ». Etude inédite de René Abjean.
. http://www.geoportail.gouv.fr
. http://www.lanildut.fr/histoire
. http://gw.geneanet.org (Alain Gautier).
. http://www.cgf-forum.fr

 

André NICOLAS – Mars 2014