Mendiants à Plouguerneau aux XVIIIe et XIXe siècles


MENDIANTS A PLOUGUERNEAU AUX XVIIIème et XIXème SIECLES
Version 2 : 15 Novembre 2012

Article complet au format pdf sur CALAMEO en cliquant ici.

Cet article cherche à compléter, pour la commune de Plouguerneau, l’ouvrage « 1774 : les recteurs léonards parlent de la misère » de Fanch ROUDAUT, Daniel COLLET et Jean-Louis FLOCH et l’ouvrage « Mendiants et vagabonds en Bretagne au XIXe siècle » de Guy HAUDEBOURG.

ll se base sur les recensements de 1836, 1846, 1851, 1876 et 1901 pour cette commune de Plouguerneau.

1 – Que signifie le terme « Mendiant » aux XVIIIème et XIXème siècles ?

 

 

Définition actuelle : personne qui demande l’aumône, la charité.

Définition lors des recensements au XIXème siècle : personne ne travaillant pas et ne possédant pas de bien (et qui pouvait à l’occasion demander l’aumône pour survivre). Certains mendiants en faisaient un métier. Les personnes âgées étaient souvent considérées comme mendiantes lorsqu’elles ne vivaient pas chez un de leurs enfants.

Dans les recensements effectués dans le Finistère à partir de 1836, certaines définitions changent selon les communes et au cours des années.

Le cas qui nous intéresse « Mendiant » est souvent décliné en « Indigent » ou « Sans Profession », voire « Journalier ». Pour cette article nous avons retenu le terme de « travailleurs occasionnels sans terre » pour regrouper l’ensemble des habitants de plus 16 ans de la commune pouvant être vus comme miséreux.

Texte de : Jean Bernard LAURENT – Généalogiste professionnel à Saint Bel (69)

« Mendiant » ne signifie en aucun cas retraité et n’est pas non plus synonyme de vagabond.

Autrefois, il n’y avait ni Sécurité Sociale, ni caisse de retraite ; nos ancêtres travaillaient très au-delà de 60 ans ; quand ils le pouvaient. Par exemple, une veuve, tout en conservant son domicile, et bien qu’ayant des enfants, mais très pauvres, pouvait être amenée à mendier pour pouvoir survivre.

Une maladie, une mauvaise récolte pouvaient très rapidement faire basculer la vie d’un ancêtre proche de la misère, et le transformer en mendiant.

Plus qu’une profession à proprement parler, il s’agissait d’une activité, reconnue, qui permettait à la personne de vivre ; souvent parce que sa condition ou sa santé ne lui permettaient plus de travailler, et qu’elle se trouvait seule.

On trouve même parfois des testaments passés par des mendiants, voire quelques contrats de mariage entre mendiants.

Il faut se remettre dans Le contexte d’une époque où l’économie se vivait en autarcie et où « un sou était un sou ».

 

2 – Les mendiants en Bretagne

Extrait de l’ouvrage : Vieux métiers en Bretagne de Patrick Denieul – Le mendiant ou chemineur de pays

 

 

Plus qu’un membre d’une caste en marge de la société, « le chemineur de pays », appelé encore « chercheur de pain » en Basse-Bretagne, est véritablement considéré comme un envoyé de Dieu, un émissaire de la providence. N’assure-t-on pas que, sous cette apparence de loqueteux, Jésus-Christ, Saint Pierre et Saint Jean visitent les demeures pour dénicher les personnes justes et charitables ?

Dans les meilleurs logis, la place du « chercheur de pain » est toujours réservée à table et près de la pierre de foyer, son bol de soupe au lard fume, il est attendu. A son entrée, tout le monde se lève, heureux de le servir. Le mendiant pénètre dans la maisonnée, bénissant au nom de Dieu et des défunts ceux qui l’habitent et qui l’accueillent si gracieusement. Le maître s’avance à son tour à sa rencontre et l’invite à partager leur repas. Une fois un peu de repos pris, « le chemineur de chemin » extirpe de son bissac rapiécé les cadeaux pour ces hôtes, ces nouvelles glanées au hasard de son chemin d’infortune, ces contes et ces complaintes qu’il a recueillis dans d‘autres foyers. Le « chercheur de pain », repu, dormira ce soir sous un toit, dans un coin réservé de la grange ou de l’étable.

Cette véritable corporation des mendiants possède ses propres règles, des règles strictes et implicites. Comme le rappelle le recteur François Cadic, chaque paroisse possédait sa propre famille de « chercheurs de pain » : « On y naissait mendiant, et l’on passait le privilège de père en fils, voire de mère en fils, ainsi que c’était la coutume chez les Mario, dynastie célèbre de tendeurs de sébile, nichée dans les bois du Douan entre Saint Jean-Brevelay et Plumellec. »

Le « chemineur de pays » ne se rendra pas plus d’une ou deux fois par an dans la même ferme, et encore à des dates régulières, les « jours où l’on donne », où son passage sera guetté et fêté comme celui d’un parent proche.

En cela, il diffère du moindre vagabond qui réclame son pain comme un dû en menaçant du poing, errant de contrée en contrée, sans but, s’agrippant au moindre bienfaiteur comme une bernique à un rocher. Celui-là sera chassé, on lâchera les chiens pour le mordre, car il n’est qu’un paria, un parasite.

Seul le mendiant, agissant toujours au nom de Dieu, bénissant à tour de bras les gens secourables, si profondément dévot qu’il ôte son chapeau sous le porche des églises, n’osant souiller le sanctuaire, sera honoré. On lui accorde une place de choix au repas de noces, où il est servi, avec ses pairs, par la mariée elle-même. Un d’entre eux mourut même d’indigestion lors du mariage Rohellec en 1929 à Brec’h, en Saint-Guérin.

Le troisième jour des pardons est réservé aux « chercheurs de pains ». La mémoire populaire a gardé trace de deux des plus fabuleux mendiants qui fussent : le Roi Stévan, prophète prédisant, vers la moitié du XVIIIème siècle, la pluie pour les cultures, les bonnes années pour les semis et d’autres prodiges qui ornent notre quotidien : Matelin an Dal, de Quimperlé, un sonneur de biniou aveugle dont la réputation méritée l’amena à jouer devant Louis-Philippe lui-même.

Quelques Idées complémentaires sur les Mendiants et leur vie

Une enquête préfectorale au milieu du XIXéme siècle estimait le nombre de mendiants à 40 000 pour le département du Finistère soit un mendiant pour 37 habitants. L’estimation, pour la France et pour cette même période, variait de 2 à 4 millions sur 39 millions de Français.

En 1846, la Bretagne est une région relativement peuplée avec 81 h/km2 contre 67 h/km2 pour la France. Les zones côtières du Léon dépassaient régulièrement les 150 h/km2.

En Bretagne, à cette époque, le mendiant bénéficie pour ainsi dire d’une sorte de statut officiel. La mendicité est une profession comme une autre. Le mendiant est un  » klasker bara « , un « chercheur de pain ».

On s’aperçoit qu’il existait deux types de mendicité : une mendicité de groupe, quasi officielle mais assez anonyme, et, plus rare, une mendicité solitaire. La seconde catégorie regroupe les étrangers, nomades saisonniers ou coureurs de pays à ne pas confondre avec les vagabonds qui eux étaient réprimés. Un exemple de cette seconde catégorie est le « maître ambulant », souvent anciens « cloareks » qui n’avaient pu faute d’argent accéder à la prêtrise et qui passaient de ferme en ferme éduquer les enfants.

Si la mendicité est une profession avec ses exigences, on ne devient pas mendiant par vocation, mais par hérédité ou par fatalité, le plus souvent économique. On naît mendiant, fils ou fille de mendiante. On devient par inaptitude intellectuelle ou incapacité physique : innocent ou simplet, infirme ou invalide : aveugle, estropié, cul de jatte, manchot, malade incurable, …

On devient aussi mendiant par fatalité suite à la mort d’un père, victime d’un accident, mort à la guerre ou péri en mer, qui laisse la famille sans pension donc sans ressources.

Les crises économiques enfin, conséquences de mauvaises récoltes dues aux conditions climatiques ou ravages causés par les guerres, contraignaient le paysan et sa famille à quitter une terre ou un toit dont ils ne pouvaient plus payer le loyer.

Les mendiants avaient leur tournée des fermes où ils étaient attendus, nourris et parfois logés dans la grange. Ils apportaient les nouvelles de la commune et du canton aux fermiers souvent isolés.

L’alcoolisme était le vice endémique de ces pauvres gens. Il a probablement contribué pour une part à les discréditer auprès de la population.

Il existait donc une grande variété de mendiants à laquelle il faudrait ajouter tous ces faux invalides, ces malintentionnés, plus voleurs que quêteurs, qui rançonnaient plus qu’ils ne mendiaient. Ces mendiants malhonnêtes, voleurs, n’avaient heureusement rien à voir avec les autres les seuls qui fussent dignes d’intérêt.

Pas de pardon en Bretagne sans la présence de mendiants. Ils sont les premiers arrivés le samedi, sur les lieux de la fête. Les pèlerins, à l’approche de l’église ou de la chapelle, avancent entre une double haie de mendiants. Leur grand pardon est celui de Saint Yves le 19 Mai, qui est non seulement le saint patron des hommes de loi, mais aussi celui de tous les pauvres. D’autres rassemblements spectaculaires de mendiants sont les pardons de Sainte Anne de la Palud et Rumengol près du Faou ( environ 400 mendiants se retrouvaient à Rumegol ).

Les mendiants savaient enfin que lors d’un mariage, le troisième jour leur était consacré : ils accouraient en foule au « repas des pauvres » servi avec les restes des jours précédents. Ils étaient traités comme les autres invités et les nouveaux mariés se devaient de danser avec eux.

Périodes de Crise

Deux grandes périodes de crise, au cours du XIXème siècle, semblent propices à la mendicité.

– 1817-1822 : Période de disette voire de famine où croissent les déplacements et le vagabondage

– 1847-1855 : Crise de la production céréalière. La maladie de la pomme de terre ne toucha pas uniquement l’Irlande mais toute l’Europe. Le pays le plus atteint fut la Belgique avec 80% de perte des récoltes en 1847. La Hollande, l’Allemagne, l’Angleterre, la France, donc la Bretagne, furent aussi frappé mais dans une moindre mesure. La cas de la forte mortalité Irlandaise fut surtout la conséquence de la mono-culture de la pomme de terre dans le centre du pays (voulu par les anglais propriétaires des terres).

En conséquence, en Bretagne, le travail pour les journaliers devient rare et le prix de tous les produits agricoles augmentent fortement du fait de la rareté et de la demande de l’étranger.

3 – 1774 : les recteurs léonards parlent de la misère

Extrait de l’ouvrage : « 1774 – les recteurs léonards parlent de la misère » de Fanch ROUDAUT, Daniel COLLET et Jean-Louis FLOCH paru en 1998.

 

 

1 – PLOUGUERNEAU

Population : 3801 habitants – Recteur : Claude Charles Denis de LESMEL en 1748

1. Le nombre de mendiants de cette paroisse de Plouguerneau est d’environ 400 (*) composant une treizième portion du peuple de ladite commune.

2. C’est pour un tiers d’eux un train pris depuis le plus bas age d’aimer plustot à courir les chemins que de s’adonner au travail ; un autre tiers a pour prétexte assez fondé leur caducité ou leur infirmité. Le reste mendie par nécessité, n’ayant point de terre à cultiver, ou ne trouvant pas de travail, et ayant une nombreuse famille à entretenir, s’étant mariés bien jeunes et avant d’avoir acquis pour leur services dans les ménages quelques fonds pour faire face aux charges du mariage. C’est l’abus dominant de ce pays, auquel je ne connais presque aucun remède.

3. Il y a déjà longtemps que l’on propose d’établir un hôpital pour la paroisse ; les dispositions présentes y paraissent assez favorables, puisqu’il se trouve deux particuliers qui font de gracieux offres à ce sujet. Le 1er est un prêtre curé de la paroisse, qui veut bien céder pour cet objet un bénéfice simple dont il est titulaire, du revenu d’environ 150 Livres. Il y a maisons et chapelle en bon état, le tout à la proximité du bourg, et ayant la commodité de l’eau.

Un autre particulier offre d’attacher à cet établissement un fond de 200 Livres de rente annuelle, quitte de toute charges et rachats, étant dans le fief de l’évêque. Plusieurs autres font encore des offres relatifs audit établissement ; mais tous conditionnent qu’ils seront exempts de payer aucuns droits royaux, comme amortissements et autres.

Moymême recteur, je consens qu’il soit levé sur le gros de mon bénéfice une somme annuelle de 200 Livres pour l’objet en question ; et d’hypothéquer sur mon patrimoine une somme aussy annuelle de 100 Livres, aux conditions cy devant. Il y a déjà un fond de 60 Livres d’assuré qui se distribue par mes mains aux pauvres.

Voylà touttes les connoissances que je puis donner sur les questions proposées.

A Plouguerneau, évêché de léon, ce jour 20 décembre 1774.

Notes : (*) – Une statistique de 1792 confirme cette estimation : Plouguerneau comptait 410 indigents sur 4148 habitants. Henri PERENNES, Plouguerneau, une paroisse entre Manche et Océan.

2 – TREMENEC’H

Population : 405 habitants – Recteur : Tanguy LE BORGNE de 1733 à 1782

Il n’y a aucun riche dans la commune.

Il n’y a aucun artisan. Il y a sept ou huit à leur aise.

Tous les autres sont des pauvres laboureurs, dont la plupart non pas du bled pour l’année, parce que les meilleurs terres sont entièrement encomblées par le sable (*), ainsi qu’on le voit.

Il n’y a aucun hôpital ni fond.

Le contenu est variable.

Notes : (*) – La petite paroisse de Tréménec’h, aujourd’hui en Plouguerneau, souffrit beaucoup de l’ensablement du Léon. En 1722, les paroissiens demandent remise des tailles et fouages, parce que « depuis douze ans les deux tiers de la paroisse sont envahis par les sables ». Le recteur François Falc’hun, mort en 1720, demande que son corps soit enterré à Guissény, « par rapport que (son) église est noyée par le sable ». Son successeur, Yves Pelleteur, expose en 1726 que « depuis 1721 son presbytère envahi par les sables est inhabité, et que l’église va disparaître de même, que le sable a gagné le haut du toit, que le Samedi Saint il tomba une grosse pièce de bois avec beaucoup de mortier et de sable sur la sainte hostie ». Henri PERENNES, Plouguerneau, une paroisse entre Manche et Océan.


Les CHAPITRES 4 à 8 (détail de l’article) sont à lire au format pdf sur CALAMEO en cliquant ICI.

4 – Les Recensements de 1836 et 1851

5 – Le Recensement de 1846

6 – Le Recensement de 1876

7 – L’Assistance à Plouguerneau

8 – Le Recensement de 1901

9 – Conclusion

En 1901, il semble que la mendicité ait pratiquement disparu. On ne retrouve plus de mention « Mendiant » ou « Indigent » dans le recensement de cette année 1901. Il reste 23 personnes à l’hospice, mais on ne dispose d’aucun renseignement sur ces personnes.

La pauvreté visible ( nos « travailleurs occasionnels sans terre ») d’un pic qui se situait dans les années 1850 à environ 20% des personnes de plus de 16 ans, en passant par environ 10 % en 1876, arrive à moins de 4 % en 1901.

Cette situation ne tient pas compte du niveau de vie des nouvelles populations, Goémoniers et Pêcheurs, qui semblent remplacer les Journaliers durant ces 50 ans.

Le niveau de vie des domestiques et des fermiers pauvres n’est pas non plus pris en compte.

La population a diminué en 50 ans en passant d’environ 6 200 personnes à environ 5 600 personnes ( perte d’environ 10 % ).

Plusieurs explications complémentaires, à cette relative diminution de la pauvreté, peuvent être évoquées :

– Départ vers l’extérieur : vers Brest puis Paris à partir 1850 et principalement des populations les plus pauvres (meilleurs routes et droit de circulation supprimé à partir 1863)

– Amélioration de l’agriculture et moins de problèmes de récoltes depuis 1855

– Exploitation du Goémon ( installation d’usines à proximité ) et extension de la Pêche

– Mise place de l’assistance et de services de soins ( Hospice )

– Début de la scolarisation

– …